Le roman du XXe siècle

À l’occasion du centenaire de la maison Gallimard, la Nouvelle Revue française a demandé à une trentaine d’écrivains de proposer un texte sur « “le” roman représentatif du XXe siècle ».

Ce projet, coordonné par Jean Rouaud, est une manière implicite de convenir que le XXe siècle aura vu la confirmation du triomphe sans partage du genre romanesque ; et que les éditions Gallimard ont joué un rôle important dans le couronnement de ce champion moderne toutes catégories.

La « crise romanesque », dont on nous rebat les oreilles depuis plusieurs décennies, ne semblerait être qu’un subterfuge supplémentaire pour atténuer ou camoufler cette hégémonie du roman.

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“Mille romans qui aboient dans notre noir forcené…”

Le recueil se nomme donc Le Roman du XXe siècle, titre chargé d’ambiguïté dont on s’accommodera. Certains des auteurs sollicités contournent la question, trichent avec la règle et, au lieu de retenir un roman, en citent deux, cinq, dix, le plus malin étant Jean-Marie Laclavetine qui intitule son texte « Mille romans » et, sans atteindre, fort heureusement, ce nombre, propose une sélection d’une vingtaine d’ouvrages, en se justifiant ainsi : « Le roman du XXe siècle ce n’est pas un roman, ce sont mille romans qui aboient dans notre noir forcené… »

Les étrangers choisissent souvent des romans étrangers (Antonio Tabucchi élisant Si c’est un homme, de Primo Levi), les Français des français – même si cette loi souffre d’importantes exceptions, comme Audeguy optant pour Malaparte (La Peau) ou Florence Delay pour Pedro Pàramo, du Mexicain Juan Rulfo, également choisi par Tahar Ben Jelloun, ou François Weyergans se déterminant pour The Mansion (Le Domaine), de Faulkner.

Certains optent pour une valeur sûre (Le Voyage au bout de la nuit, de Céline ; Ulysse, de Joyce ; Histoire, de Claude Simon ; Vie et Destin, de Vassili Grossman…) ; d’autres pour des bijoux plus rares, plus secrets, réservés aux initiés, comme Lotissement du ciel, de Blaise Cendrars, retenu par Philippe Forest, ou Le Surmâle, d’Alfred Jarry, que défend Annie Le Brun, ou encore Le Village, d’Ivan Bounine, choisi par Jean-Loup Trassard.

Certains se contentent d’une page elliptique (Vargas Llosa, avocat de Joyce ou Eri Di Lucca, inconditionnel du Chant du peuple juif assassiné, écrit en yiddish par Itzhak Katzenelson) ; d’autres se lancent dans de longs développements sur la littérature ou sur le monde, comme Patrick Chamoiseau, le plus prolixe, ou Pierre Guyotat le plus narratif.

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« Le roman représentatif du XXe siècle n’existe pas. »

Le résultat est inévitablement inégal, nous laissant une impression de disparate et, en définitive, d’insatisfaction. Quelle valeur ajouter à ces choix délibérément subjectifs, adaptés à un goût, une sensibilité, une origine, pas toujours suffisamment justifiés ? Effet inattendu, en revanche : chaque texte nous renseigne davantage sur celui (ou celle) qui en est l’auteur que sur le livre qu’il est censé défendre. Résultat peut-être plus intéressant que l’élaboration d’une « bibliothèque idéale » ou l’établissement d’un palmarès. « Il ne s’agit pas de garnir un podium », nous préviennent Antoine Gallimard et Jean Rouaud qui signent l’avant-propos.

Plutôt que de rendre hommage à leurs illustres prédécesseurs, les écrivains d’aujourd’hui nous prouvent qu’avant de prendre la plume (expression désuète et métaphorique), ils sont d’abord des lecteurs, formant un cercle, plutôt vertueux, selon lequel la littérature enfante de la littérature.

Le dernier mot de cette promenade dans le siècle romanesque achevé il y a peu est prononcé, ou suggéré, par plusieurs : « Le roman représentatif du XXe siècle n’existe pas. » On s’en doutait. À moins qu’il soit encore trop tôt pour en décider.

Yves Stalloni

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• « Le Roman du XXe siècle », sous la direction de Jean Rouaud, numéro spécial de la « NRF », n° 596, février 2011, 266 p.

• Le roman sur le site de “l’École des lettres“.

Yves Stalloni
Yves Stalloni

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