Lycée professionnel :
à qui profite la valorisation ?

En annonçant le 4 mai une enveloppe d’un milliard d’euros pour le lycée professionnel, le président de la République entend faire passer l’épisode douloureux des retraites. Si la valorisation de cette filière était attendue, certains redoutent la tutelle des entreprises pour les stages et les débouchés au détriment des apprentissages, et un plan social du côté des enseignants.
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université.

Le « lycée pro » reste peu valorisé. Il accueille pourtant pas moins de 650 000 élèves. En 2022, 26 % des bacheliers planchaient en filière professionnelle1, ce qui est loin d’être marginal. Malgré les réformes successives, dont la dernière en 2019, après celle de 2009 qui avait vu l’obtention du bac pro (créé en 1985) passer de quatre à trois ans, la caractérisation péjorative l’assimilant à « une voie de garage » est toujours présente dans l’inconscient collectif. Le lycée professionnel peinerait à se défaire de l’image d’une orientation par défaut proposée aux élèves qui n’ont pas eu le niveau pour aller en seconde générale.

Malgré son manque d’attractivité, il bénéficierait cependant d’une bonne image auprès de deux Français sur trois, apprend un sondage Viavoice pour l’association Une voie pour tous publié le 1er février 20232. Pour 83 % des sondés, il a l’avantage de proposer une vision plus concrète du monde du travail. 84 % des anciens élèves de lycée professionnel estiment qu’il a été une bonne expérience. Pour 53% d’entre eux, il relevait d’un choix personnel, et seulement pour un tiers d’une orientation « subie ».

« Le lycée professionnel doit être l’ascenseur social de toutes les familles », a déclaré Emmanuel Macron dans une tribune publiée sur les réseaux sociaux Facebook et Linkedin le 3 mai. « Le but, c’est que chacun puisse trouver un bon métier, un métier avec un bon salaire, et qui a du sens, a-t-il poursuivi. Car oui, quand on choisit de faire un CAP ou un bac pro, on doit pouvoir trouver facilement un emploi et bien en vivre. » Si un tiers des lycéens vont en lycée professionnel, un tiers décroche et quitte l’école sans bac ou diplôme équivalent, et pour ceux qui sont diplômés, moins de 40 % trouveraient un emploi dans les six mois, selon Emmanuel Macron dans sa tribune. De quoi contrebalancer le présupposé d’employabilité rapide rattaché à la filière.

Devenu « cause nationale » le 4 mai, le lycée professionnel s’est vu agrémenté d’un milliard d’euros d’investissement, a annoncé le président de la République à Saintes, en compagnie des ministres de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, du Travail, Olivier Dussopt, et de l’Enseignement professionnel, Carole Grandjean.

« Nous devons faire évoluer profondément toutes les formations qui sont doublement insatisfaisantes : ne permettant ni poursuite d’études ni insertion professionnelle. Elles seront soit fermées, soit revues, a assuré Emmanuel Macron, d’après Le MondeFace à l’absence de débouchés des élèves, l’inaction n’est pas une option. »

D’ici à la fin de l’année sera mise en place une carte des formations « dynamique ». Chaque proviseur pourra disposer d’informations sur les taux d’insertion et de poursuites d’études, les besoins du bassin d’emploi et les métiers en tension. Ce sera à eux d’échanger avec leurs partenaires économiques à travers un bureau des relations école-entreprises. Les syndicats ont réagi en pointant deux écueils : des inégalités territoriales et le risque de voir passer des établissements scolaires sous la tutelle des entreprises en répondant à leurs besoins au lieu de prioriser ceux des élèves et les apprentissages.

L’idée n’est pas neuve : en 2009, le ministre en charge, Luc Chatel, s’était appliqué à renforcer « les relations école-entreprise, par la signature de conventions avec le Medef, les chambres régionales de commerce et d’industrie6 ».

Du côté des élèves

Premier pilier de la réforme promue par le président de la République, la rémunération des stages passerait de 50 euros par semaine à 100 euros, du CAP à la terminale. Il est également question de singulariser les parcours professionnels en augmentant de 50 % la durée de stage pour les élèves qui souhaitent entrer sur le marché du travail dès l’obtention du bac pro. Ainsi, « les élèves seront rémunérés par l’État durant leur stage ! », s’exclame un collectif de parents, professeurs et élus en colère sur le site de Mediapart, qui y voit un « coup politique », censé « tourner la page catastrophique des retraites », en promettant de l’argent aux classes populaires.

En effet, selon les signataires de cette tribune, les élèves de lycées professionnels « font partie des catégories sociales les plus populaires, souvent les plus fragiles. Plus de 90 % des lycées professionnels affichent en effet des indices de position sociale inférieurs à la moyenne nationale, rendant ainsi très alléchante la proposition d’une rémunération de 50 à 100 euros par semaine de stage effectué. » Difficile de s’y opposer à première vue. « Que devient la mission traditionnelle du lycée professionnel de former‘‘l’homme, le citoyen, le travailleur’’ selon la formule ambitieuse du plan Langevin Wallon ? », alertent les signataires. Pour eux, « Les élèves défavorisés deviennent des agents économiques qu’il faut vite mener vers les marchés locaux du travail ; l’avenir des élèves pauvres est moins soumis à leurs aspirations qu’aux besoins du bassin où ils résident. […] Avec la réforme, les élèves de terminale seront confrontés au choix entre un stage prolongé en entreprises en vue d’une insertion professionnelle immédiatement après le bac, et un module de quatre semaines pour préparer une entrée en BTS. Qui choisira de renoncer à la rémunération, même faible, pour les études supérieures ? »

Les signataires de ce texte continuent à défendre un enseignement « équilibré » entre matières générales et formation professionnelle. Pour les élèves qui souhaitent prolonger leurs études supérieures en BTS, tutorat et  : « 16 % des élèves de bac pro ont des difficultés de lecture et d’écriture à l’issue de leur diplôme, contre 3,5 % des élèves en bac général », convient la ministre de l’Enseignement professionnel, Carole Grandjean4.

Du côté des professeurs

Si les annonces présidentielles ont été accueillies avec scepticisme du côté des syndicats enseignants, c’est que cette réforme peut être lue de plusieurs façons. Comme pour le nouveau « pacte » de l’enseignement, elle s’appuie sur une revalorisation salariale axée sur un « travailler plus pour gagner plus » qui ne dit pas son nom. La diversification des missions des enseignants, ainsi que le remplacement des professeurs absents, sont censés rapporter aux professeurs « jusqu’à 7500 euros brut annuel ». Mais cette promesse d’augmentation se heurte aux réalités de services déjà en situation de trop-plein. Maximaliser le nombre d’heures hebdomadaires devant élèves risque de faire atteindre des seuils intolérables. En outre, la réforme, qui se veut adaptée aux réalités socio-économiques, entend réaménager la formation professionnelle en supprimant des filières en tension.

C’est notamment ce sur quoi a insisté Pap Ndiaye, le 7 mai sur France info, en jugeant que les professeurs de lycées professionnels qui verraient leur filière fermer pourraient « se tourner vers le professorat des écoles ou également vers le collège». Leurs « savoirs restent utiles », a-t-il cru bon de préciser en ajoutant « Nous visons d’abord l’intérêt des élèves… qu’ils ne soient pas au chômage et qu’ils aient des perspectives professionnelles7 ».

« Déjà sur les réseaux sociaux, de nombreux collègues enseignant en lycée professionnel font part de leur colère et de leurs angoisses, observe l’historienne Laurence De Cock dans un billet publié sur le Club de Mediapart. Le niveau de mépris et de violence atteint des sommets. Apprendre début mai que, dès septembre, le poste qu’on occupe aura disparu, c’est se préparer possiblement à un basculement professionnel et familial abyssal. »

Dès septembre 2023, des professeurs seront inévitablement contraints de se reconvertir vers le professorat des écoles ou le collège. Ce qui ne va pas de soi et ne peut se faire d’un revers de main. « Comme si les collègues ayant passé un concours pour enseigner à de jeunes adultes de la voie professionnelle avaient soudainement envie de se retrouver devant des enfants de primaire, comme s’ils en avaient les compétences, comme si tout cela était interchangeable, poursuit Laurence De Cock. On voit bien ici la méconnaissance des différents métiers de l’Éducation nationale, mais aussi comment le dogme de la rationalité comptable et budgétaire est venu exploser le peu de considérations qu’il restait pour le métier d’enseignant. »

De son côté, le syndicat des directeurs et directrices délégués aux formations professionnelles et technologiques (DDFPT), le SN2D, regrette que le président ne les ait pas mentionnés lors de son allocution du 4 mai. « Les directrices et directeurs délégués aux formations professionnelles et technologiques, membres à part entière des équipes de direction, sont présents dans tous les lycées professionnels, recrutés spécifiquement pour le pilotage, l’animation, le développement et la coordination des filières professionnelles, conseillers directs et experts de celles-ci auprès des chefs d’établissements. »

Une série de concertations devrait s’ouvrir dans les prochaines semaines pour affiner ces mesures qui se mettront en place progressivement entre 2023 et 2026. Avec le chiffre annoncé d’un milliard investi chaque année sur le lycée professionnel, la société française peut s’interroger sur ce qu’elle souhaite pour la jeune génération. La question étant de savoir si chacun, ingénieur, professeur, ministre, serait prêt à valoriser cette voie, y compris pour sa propre progéniture.

Le 9 mai au soir, des professeurs du lycée Bellevue de Toulouse ont cessé le travail après avoir appris une éventuelle suppression de sections dans les classes de seconde de leur établissement. Le lendemain 10 mai, ils apprenaient que ce serait finalement 106 places de seconde de bac pro commerce qui seraient supprimées à la rentrée au sein de l’académie de Toulouse. Ce qui, déplorent les grévistes, pourrait laisser des élèves de troisième « sur le carreau ».

A. S.

Notes

(1) https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/pourquoi-le-nombre-de-candidats-au-bac-pro-recule-1413227#:~:text=C’est%20surtout%20la%20voie,6%20%25%2C%20avec%20186.200%20%C3%A9l%C3%A8ves
(2) https://www.letudiant.fr/lycee/lycee-pro-cap/2-francais-sur-3-ont-une-bonne-image-du-lycee-professionnel.html (L’article s’appuie sur le sondage « Viavoice » (janvier 2023), « Le lycée professionnel. Image, perceptions et enjeux d’avenir).
(3) https://www.education.gouv.fr/12-mesures-pour-faire-du-lycee-professionnel-un-choix-d-avenir-pour-les-jeunes-et-les-entreprises-378032
(4) https://etudiant.lefigaro.fr/article/la-ministre-carole-grandjean-veut-davantage-de-transparence-sur-les-debouches-apres-un-bac-pro_250f6d9e-eb21-11ed-9cf2-716668da1123/
(5) https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2012-2-page-131.htm
(6) https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/05/28/la-reforme-du-lycee-professionnel-vide-les-enseignements-de-leur-richesse_5468640_3232.html
(7) https://www.cafepedagogique.net/2023/05/09/pap-ndiaye-trois-petites-phrases-qui-agacent/


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
Antony Soron