"Nota bene." De l'usage de la note

Nota bene. Au prix d’un détournement lexical, l’expression peut donner une coloration latine à l’injonction banale « Note bien », et introduire une réflexion sur la notation.

Le sujet est d’actualité puisque, parmi les causes avancées du mauvais fonctionnement de l’école française, il en est une qui revient régulièrement : l’usage précoce, immodéré et intempestif de la note, chiffrée de préférence.

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« L’école française a-t-elle tué le plaisir d’apprendre ? »

À la question posée par un dossier du Monde (6 octobre 2011) « L’école française a-t-elle tué le plaisir d’apprendre ? », le sous-titre apporte un début de réponse : « L’omniprésence de la notation et la crispation sur l’autorité laissent peu de place au bien-être des élèves » (Mattea Battaglia). La deuxième partie du sujet pourrait être une conséquence de la première : l’autorité du maître se nourrissant de sa capacité à sanctionner au moyen des notes.

Le débat est donc ouvert : pour redonner à nos enfants le plaisir de fréquenter l’école, faut-il supprimer les notes ? Si le rôle de l’enseignant est, comme le suggérait Jules Ferry, de « rendre l’école aimable et le travail attrayant », le moyen d’y parvenir ne serait-il pas de se débarrasser de cet usage subjectif et discriminatoire ?

Rappelons que le principe de la notation est profondément ancré dans nos mentalités puisqu’il nous viendrait des Jésuites qui proposaient d’évaluer tous les élèves sur une échelle de 1 à 6 en fin d’année, le chiffre 6 correspondant au niveau insuffisant, celui d’un élève inapte à poursuivre des études. Depuis, le système s’est étendu à toute la scolarité obligatoire selon des procédures variables, la plus fréquente étant l’échelle de 0 à 10 (à l’école primaire) et de 0 à 20 à partir du collège.

L’utilisation de lettres (de A à F le plus souvent) connut son heure de gloire aux lendemains de Mai 1968. La note, quelle qu’elle soit, a pour effet automatique d’entraîner un classement et la possibilité d’évaluer des critères de compétence dans les examens et les concours où le candidat sera, suivant son total de notes, déclaré admis ou recalé.

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Principaux griefs adressés à la notation

Ce bel édifice qui a fait la fierté de notre école républicaine et de l’élitisme du même nom qui en a découlé, doit-il être aboli ? Pour répondre, il n’est pas inutile de rappeler les principaux griefs adressés à la notation :

La docimologie (science des notes) n’est pas une science exacte et la pratique de la note n’a rien de très objectif. La preuve : un même travail pourra, suivant le moment, le lieu, le contexte, la personnalité du correcteur recevoir une évaluation pouvant varier de plusieurs points. De la même manière, toute classe constituée (y compris à la suite d’une préselection sévère, comme pour les classes préparatoires), finit par obtenir une répartition des notes de forme gaussienne, avec, aux deux extrêmes 10 à 15 % de bonnes et mauvaises notes, le reste se répartissant en « notes moyennes ».

La note privilégie la part de l’enseignement qui se limite à la transmission des savoirs et néglige ce qui relève de l’épanouissement de l’élève. Les notes de « bonne conduite », de « comportement », de « bonne volonté », d’« esprit originalité ou d’initiative », sont rares, voire inexistantes, et, en tout cas, jugées négligeables. Elles n’ont aucun poids sur la délivrance des diplômes (encore que l’oral, parfois, puisse faire office de correctif).

La peur de la note transforme la relation pédagogique vécue en termes de jugement, de sanction, de tri manichéen dont l’arme fatidique est symbolisée par la « barre » virtuelle de la moyenne. Par crainte d’échouer, l’élève en vient à manquer de confiance (mal profond des élèves français). La note serait, avec le redoublement, un des outils de « torture pédagogique » (Peter Gumbel, ex-correspondant à Time Magazine, interrogé dans le même numéro du Monde). Redoublement qui semble une spécificité française, puisque notre pays la pratique trois fois plus que la moyenne des pays de l’OCDE.

Le culte de la note se substitue au bénéfice de la formation. Question des parents à l’enfant rentrant de classe : « Tu as eu quelles notes ? » Et encore : « Montre-moi ton carnet de notes. » Sans souci du vécu scolaire. Le temps des contrôles est, dans certaines sections, supérieur au temps des apprentissages. Cette sacralisation de l’évaluation encourage tous les dévoiements : tricherie, copiage, falsification, trafic des diplômes, cours particuliers, pressions diverses…

• La pratique intensive de la notation n’est qu’une forme euphémisée du conformisme et de la domestication. Elle traduit l’obsession de la rentabilité, de la hiérarchie, de la promotion, triade qui domine le monde des adultes dans leur vie professionnelle et même sociale. Elle marque la victoire du quantitatif sur le qualitatif. Elle condamne tout esprit innovant ou rétif aux standards.

Face à un tel réquisitoire, la défense est embarrassée. Plaidant pour le maintien de la note, elle invoquera la tradition (des générations d’élèves ont été formés et sélectionnés de la sorte), l’efficacité (le fondement mathématique a quelque chose de simple et de rassurant), la massification de l’enseignement (qui empêche les expérimentations complexes), l’absence de solution alternatives (comment mesurer le niveau de qualification ?). Elle acceptera du bout des lèvres quelques concessions (au niveau élémentaire, les écoles Montessori ou Freinet, par exemple, l’invention des « portefeuilles de compétences » ou de « reconnaissance des acquis).

Elle démontrera surtout que l’on ne peut pas toucher à la note sans reconsidérer l’ensemble de notre système éducatif (programmes, manuels, règlements intérieurs, examens, concours, formation des maîtres…), et qu’une telle réforme ne peut se faire sans de périlleux bouleversements. Bref, elle utilisera une argumentation louvoyante et dilatoire. Et pendant ce temps, on continuera allègrement à mettre des 0/20, tellement plus fréquents que des 20/20. Au risque de désespérer notre belle jeunesse.

Yves Stalloni

Yves Stalloni
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