OCDE : TALIS 2013, de l'enquête à la feuille de route

OCDE : Résultats de TALIS 2013On connaissait les enquêtes PISA de l’OCDE évaluant les acquis des élèves, il va falloir maintenant connaître les enquêtes TALIS de la même OCDE, centrées désormais sur les enseignants et les chefs d’établissement.
Avec la participation de près de trente pays du monde entier, entre 2012 et 2013, à raison de deux cents établissements par pays et vingt enseignants, en moyenne, consultés par établissement, TALIS est la plus vaste enquête jamais réalisée dans le premier cycle de l’enseignement secondaire.
Pour établir cette perspective internationale sur l’enseignement et l’apprentissage (intitulé officiel de l’enquête), les thèmes retenus ont porté sur la perception du métier par les enseignants, leur formation initiale, leur formation continue, les évaluations et commentaires reçus au cours de l’exercice de leur métier, le climat en classe et dans leur établissement, leur sentiment d’efficacité (confiance en ses aptitudes) et leur satisfaction personnelle (sentiment d’épanouissement).
Le rapport est accompagné d’une abondante bibliographie sur les sciences de l’éducation, dans laquelle les chercheurs français brillent par leur discrétion.

Une mine d’informations et de réflexion

Comme toujours, de pareilles enquêtes sont des mines d’informations et de réflexion, que chacun peut exploiter à sa guise. Le ministère de l’Éducation nationale n’a pas manqué de communiquer sans retard ses analyses et conclusions dans deux notes de synthèse, relayées par la presse, qui sont, à y regarder de près, moins des notes d’information que des notes d’orientation.
À lire ces comptes rendus officiels, l’enquête TALIS valide, en effet, les choix et les objectifs assignés à notre politique éducative, dont l’action en cours porte bien là où les besoins sont repérés et les insuffisances pointées par l’étude de l’OCDE : développer la formation pédagogique des nouveaux enseignants, aller vers plus de formation continue et de tutorat, plus de pédagogies différenciées et de recours aux nouvelles technologies dans les apprentissages, reconsidérer l’évaluation, jusqu’alors peu motivante et peu gratifiante, entreprendre une revalorisation du métier, mal considéré dans la société.
Ces axes ne définissent-ils pas la direction suivie par l’Éducation nationale à travers un discours politique affirmant résolument la priorité accordée par l’État à l’éducation à travers des concours de recrutement désormais plus professionnalisants, des Écoles du professorat (ÉSPÉ) ambitieuses et rénovées, un engagement fort autour du développement des apprentissages via le numérique ? Bref, si tout concorde, observations internationales et politiques en cours, que demander de plus ?

Importance de la direction d’établissement

Oui, pourquoi ne pas se féliciter des efforts entrepris ? Pourquoi faire état de scepticisme ? Peut-être parce que, entre les intentions et les actes, le trajet est accidenté, peut-être parce qu’une orientation juste et bonne ne suffit pas à enclencher les réformes requises, peut-être parce que tous les pays d’Europe et au-delà ne partent pas avec les mêmes atouts pour atteindre ce but commun et souhaité.
À cet égard, un chapitre de l’enquête, très peu commenté en France, est pourtant au coeur de cette problématique de réforme ; il s’agit du chapitre III : « Importance de la direction d’établissement ».
On y apprend qu’en France les responsabilités des chefs d’établissement en matière de recrutement, d’admission des élèves, de pédagogie et d’évaluation sont bien moins fortes que dans d’autres pays, alors même qu’il est établi que la relation entre les chefs d’établissement et les enseignants est décisive dans la détermination du climat d’ensemble et dans l’amélioration des résultats des élèves, et que plus l’encadrement pédagogique du chef d’établissement est affirmé, plus grandes sont les chances d’efficacité dans le travail.
L’Australie fait figure d’exemple en ayant instauré pour les chefs d’établissement une norme nationale visant à « reconnaître explicitement la contribution d’une direction d’établissement de qualité à l’amélioration des acquis des élèves ». Pour ce faire, cette norme s’applique à cinq champs d’intervention : diriger les enseignements et les apprentissages, diriger les améliorations, innovations et changements, diriger la gestion de l’établissement, s’ouvrir à la collectivité, développer soi-même et les autres.
Tant de choses seraient à changer en France, dans un domaine où enseignants et chefs d’établissement sont loin de coopérer, qu’il n’est pas étonnant qu’aucun compte rendu officiel n’ait attiré l’attention sur le nécessaire abandon de la tripartition administration / pédagogie / évaluation, ni d’ailleurs sur le renforcement et l’élargissement de la formation des chefs d’établissement.

De nécessaires retours d’information

Le chapitre V de l’enquête TALIS s’intitule : « Évaluation et commentaire : des outils au service de l’amélioration de l’enseignement ». Là encore, autant le constat est simple, autant les solutions sont difficiles à mettre en oeuvre. Si tout le monde s’accorde à pointer les insuffisances des évaluations (trop peu fréquentes, trop peu pédagogiques, trop peu collaboratives, trop peu valorisantes), bien téméraire sera celui qui entreprendra l’amorce d’une réforme.
Donnons deux exemples du chemin possible à parcourir : en Corée, les évaluations sont au service de la formation continue ; ainsi, les évaluations les plus satisfaisantes donnent droit à une année d’étude et de recherche rémunérée (équivalent du congé sabbatique à l’université), tandis que, à l’inverse, les évaluations moins positives créent l’obligation de participer à des formations courtes.
À Singapour, à l’issue des évaluations, en fonction de ses qualités démontrées et de ses aspirations, l’enseignant se voit proposer trois parcours (accompagnés d’actions éventuelles de formation) : un parcours « enseignement » pour assumer des fonctions de tuteur, de professeur référent ou coordinateur ; un parcours « gestion » pour accéder peu à peu à des fonctions d’encadrement et de direction ; un parcours « spécialisation / recherche » pour approfondir sa connaissance disciplinaire.
Plus intéressant encore, l’enquête TALIS élargit l’évaluation à la notion de commentaire. Il s’agit de prendre en compte tous les retours d’information que les enseignants peuvent recueillir sur l’exercice de leur métier : par des membres de l’équipe de direction, par des collègues et tuteurs, par des personnes extérieures à l’établissement (parents, organismes, institutions).
En Suède et en Norvège, les enseignants qui le souhaitent peuvent prendre l’initiative de consulter très officiellement leurs élèves sur leurs pratiques pédagogiques.
Les enseignants français souffrent d’un déficit de commentaires : hormis l’évaluation formelle de l’inspection, très peu d’occasions de retour leur sont offertes, ce qui nuit à l’estime de soi et à l’efficacité personnelle (entendue comme perception par un individu de sa capacité à accomplir une tâche).

L’efficacité : une notion nouvelle mais centrale

Cette notion d’efficacité, assez nouvelle dans une enquête sur l’enseignement, est pourtant centrale dans l’étude : les sentiments d’épanouissement personnel et de confiance en ses aptitudes sont examinés par rapport au climat de classe, aux relations avec les chefs d’établissement et les collègues, à la formation continue et à l’évaluation. Les enseignants se sentent mieux lorsqu’ils sont associés aux prises de décision, lorsque les occasions d’apprentissage sont fréquentes, lorsque les élèves en difficulté ne sont pas trop nombreux par classe, et, d’une manière générale, la satisfaction personnelle décroît avec les années, alors même que le sentiment d’efficacité lié à l’expérience augmente.
L’enquête, de plus de quatre cents pages, aborde d’autres questions, parfois bien connues, parfois moins étudiées : si les méthodes d’évaluation des élèves n’appellent pas beaucoup de remarques (les pays les plus innovants étant le Mexique et la Flandre, en raison notamment de l’autoévaluation), le temps consacré aux diverses tâches révèle des données sans surprise mais toujours utiles à rappeler.
Ainsi, pour l’ensemble des pays sollicités, les moyennes s’établissent de la manière suivante : le temps de travail total par semaine est de 38 h. Avec une répartition moyenne établie ainsi : 19 h devant la classe, 7 h de préparation, 5 h de correction, le reste du temps étant dévolu aux tâches administratives, réunions et activités périscolaires.
L’exemple de la Pologne permet d’observer que, jusqu’à 18 ou 19 h de cours, plus l’enseignant a d’heures de cours, plus il consacre du temps aux autres tâches (l’augmentation est proportionnelle). En revanche, audelà de 19 h de cours, il n’y a plus augmentation du temps consacré aux autres tâches (rupture de proportionnalité).
Les chiffres généraux sur l’utilisation du temps de classe sont également intéressants : si, en moyenne, 80 % du temps de classe est consacré à l’enseignement et un peu moins de 20 % à la discipline, un enseignant sur quatre déclare néanmoins passer près de 30 % de son temps au maintien de la discipline, la France n’étant pas la plus à plaindre dans ce domaine où le Brésil se trouve en difficulté.
D’autres chiffres confrontent les convictions des enseignants concernant les méthodes pédagogiques à employer : si la vision constructiviste est largement majoritaire (aider les élèves à effectuer leurs propres recherches, à réfléchir par euxmêmes, à trouver eux-mêmes les solutions), des variations s’observent dans les pratiques privilégiant plutôt le travail en groupe ou plutôt le travail sur projet.
Enfin, et sur un dernier plan, l’enquête étudie les pratiques collaboratives des enseignants : qui fait quoi avec qui et quand ? De l’échange de matériel ou de documents au cours fait en classe à plusieurs, il existe tout un éventail de coopération : en France, 75 % des enseignants déclarent ne jamais observer le travail d’un collègue en classe. D’une manière générale, la France est l’un des pays où la pratique du métier est la plus solitaire, où les échanges, collaborations et actions communes sont les moins nombreux, ce que confirme notre déficit en tutorat, coaching et accompagnements divers tout au long de la carrière.
Au vu des observations et analyses produites par TALIS, la politique éducative conduite actuellement va assurément dans le bon sens, chaque pas en avant témoigne d’un souci réel du but à atteindre : mettre en mouvement le monde de l’éducation, impulser des améliorations ne se fera pas à marche forcée, mais par un enchaînement de petits pas.
 

Pascal Caglar

 

Sources

 
• TALIS 2013 . La formation professionnelle des enseignants est moins développée en France que dans les autres pays. Note d’information, no 22,  juin 2014.
• TALIS 2013.  Enseignant en France : un métier solitaire ? Note d’information, no 23, juin 2014.
• Résultats de TALIS 2013. Une perspective internationale sur l’enseignement et l’apprentissage, rapport de l’OCDE.
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Pascal Caglar
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