Parcoursup, miroir aux alouettes ?

Autre effet pervers de la plateforme d’orientation post-bac : la pression sur l’avenir des élèves contraint à une euphorie des notes et à des commentaires qui ne reflètent ni le niveau individuel ni le niveau général. Et les enseignants perdent le sens de la notation.
Pascal Caglar, professeur de lettres (Paris)

Un étranger tombant sur les dossiers Parcoursup qui circulent actuellement en France ne manquerait pas de s’exclamer : « Comme ils sont brillants les jeunes de ce pays ! Quelles qualités ! L’éducation des enfants de ce pays est remarquable ! » Mais sur cette plateforme en ligne, les dossiers d’orientation post-bac des lycéens en disent encore moins sur les élèves que sur notre système scolaire ; ils témoignent d’une peur de révéler le réel niveau de notre enseignement et contribuent à la fabrique de l’illusion.

Les commentaires des enseignants sur leurs élèves en privé peuvent s’inscrire à l’inverse des commentaires lisibles sur Parcoursup : ici, on reconnait des niveaux catastrophiques, des problèmes d’attention, de travail insuffisant, de motivation absente ; là, on fait état de bonne attitude, de bons résultats, de progrès, et l’on encourage tout le monde. Quand il en va de l’avenir des élèves, la pression adoucit les jugements.

Avec un 16 de moyenne, on peut tomber sur le premier de la classe, mais il peut s’agir du 20e ou 25e d’une bonne classe, le premier ayant 19 et le dernier 14. À lire certains bulletins, on pourrait croire que, dans un grand nombre d’établissements, on ne note qu’entre 10 et 20. Une note en dessous de la moyenne, si elle existe, est une exception dans le grand monde de l’orientation, bien vite tempérée par un commentaire du type : « Accident », suivi bientôt du classique « En progrès ». 

Aussi, si on se fie au classement plutôt qu’aux notes, il faut prendre garde aux distorsions, car les appréciations sèment le doute, font oublier un mauvais rang par des commentaires positifs, comme si certains enseignants voulaient excuser un classement peu glorieux avec des compliments exagérés : ainsi, il n’est pas rare de trouver, pour un élève classé 28e sur 30, ce jugement : « Résultats satisfaisants ». Sur le mode « Touche pas à mon établissement », la palme revient à ces proviseurs qui émettent à tout-va des avis favorables, voire très favorables, contredisant allègrement les observations prudentes et réservées des professeurs de première ou de terminale. Un grand nombre d’entre eux, moins complices du système que leurs autorités, savent trouver quand il le faut, dans le non-dit ou l’euphémisme, la manière de tempérer l’euphorie des notes.

Finalement, si les moyennes ne veulent plus rien dire, si les profs ne sont plus vraiment libres de leur notation, il faut se réjouir que les appréciations soient encore présentes dans les dossiers, pour qu’à défaut des notes, les mots permettent encore un peu de trouver un peu de sens.

Une dérive des critères d’évaluation

Plus grave encore que l’inflation sans limites des bonnes notes, l’attention se déplace : elle passe des résultats scolaires aux activités périscolaires des élèves pour éclairer désormais d’autres qualités mises en avant dans les dossiers, comme, par exemple, l’implication de ces derniers dans leur établissement, dans la vie démocratique et citoyenne de ces sociétés en miniature. Être ou avoir été délégué de classe est un signe de distinction, tout comme avoir été élu au conseil de la vie lycéenne, ou avoir participé à un concours, ou encore être actif dans des collectes humanitaires ou des associations de soutien scolaire. Les dossiers Parcoursup offrent généreusement des colonnes entières où recenser ces qualités qui prennent parfois des allures de notice biographique, avec déballage de ses hobbies et des sports pratiqués. Mais comme sur un CV en somme.

Désormais, l’élève est plus qu’un élève, c’est une personne qui se révèle bien au-delà de son travail scolaire : sa lettre de motivation est un temps fort de son authenticité, et qu’importe si celle-ci n’est qu’un tissu de stéréotypes et de formules toutes faites, de promesses et de déclarations d’amour, ce qui compte, c’est que l’élève a un projet !

Du côté des collègues chargés de la sélection, ce nivellement des résultats et cet élargissement du regard porté sur les dossiers incitent à trouver de nouveaux critères pour signifier le niveau réel des candidats. Chaque structure d’enseignement supérieur met donc en place ses propres grilles fondées sur des critères plus spécifiques, des informations complémentaires, à partir de procédures particulières, dont l’une des plus fréquentes permet de coefficienter les établissements d’origine, mais d’autres peuvent tout aussi bien recenser le nombre d’occurrences de tel ou tel mot.

À vouloir gommer les différences par des épreuves et des évaluations, le système scolaire laisse se développer des modes de sélection qui ne changent pas la concentration des meilleurs élèves dans les meilleures formations, et perpétue le leurre d’une ascension sociale pour les plus fragiles.

P. C.

Ressources

Sur le site ministériel Parcoursup : https://www.parcoursup.fr/index.php?desc=completer_dossier

Fiches conseils : Comment rédiger un projet de formation motivé ? ; Rédiger sa rubrique activités et centres d’intérêt.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Pascal Caglar
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