Parcoursup : entre bac et post-bac, les tiraillements de la promo 2024

Les lycéens ont confirmé leurs vœux d’orientation le 3 avril et attendent les résultats pour le 30 mai, mais le suspense Parcoursup reste entier. Entre épreuves d’admissibilité et procédures divergentes entre les formations, le système qui s’est amélioré à la marge persiste dans l’opacité.
Par Ludmilla Soron, étudiante à Sciences Po Paris

Les lycéens ont confirmé leurs vœux d’orientation le 3 avril et attendent les résultats pour le 30 mai, mais le suspense Parcoursup reste entier. Entre épreuves d’admissibilité et procédures divergentes entre les formations, le système qui s’est amélioré à la marge persiste dans l’opacité.

Par Ludmilla Soron, étudiante à Sciences Po Paris

Les changements arrivent lentement. En juin 2023, face aux problèmes d’orientation des lycées depuis la réforme conduite par l’ancien ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, le ministère a annoncé plusieurs aménagements. D’application progressive, ceux-ci débuteront pour les actuels élèves de troisième qui feront leur rentrée en seconde en septembre prochain. Le brevet des collèges est supposé conditionner désormais le passage au lycée. Concernant le dernier cycle, une nouvelle épreuve dite de « mathématiques et de culture scientifique » viendra s’ajouter au traditionnel bac français. Les épreuves de spécialité vont définitivement être remises en fin d’année, contrairement à l’idée initiale de la réforme du lycée qui les prévoyait au mois de mars, avec des conséquences dénoncées sur le calendrier de mars à juin et l’implication des lycéens pendant cette période. Nouveauté controversée, le stage obligatoire de seconde, destiné à pallier les vacances à rallonge des lycéens, entrera en vigueur cette année à la mi-juin et pour deux semaines obligatoires.

La « promo bac 2024 » a expérimenté depuis le début d’année les conséquences de la réforme. Annoncées en août dernier, les mesures se sont imposées péniblement. Les élèves qui passeront le baccalauréat cette année, comme leurs enseignants, semblent déconcertés par un calendrier qui interfère largement avec celui de leur procédure d’orientation. L’an dernier, à la fin avril, les lycéens avaient déjà passé leurs deux épreuves de spécialité qui comptaient dans le dossier Parcoursup. Ce n’est pas le cas cette année. Il ne leur restait plus à passer en juin que la philosophie et le grand oral. Et les critiques pleuvaient sur un troisième trimestre démonétisé puisque sans impact ni sur le baccalauréat ni sur la procédure Parcoursup. Des dizaines de vidéos de lycéens « en vacances » dès le mois d’avril inondaient les réseaux sociaux et irritaient parents d’élèves et enseignants. Ces derniers avaient fait part de leur colère devant ce calendrier encourageant le désintérêt pour le travail hors épreuves.

Problèmes de calendrier

Des aménagements du calendrier s’imposaient donc. Mais 2024 ne s’annonce pas comme l’année de l’apaisement. Le planning des épreuves du baccalauréat tel qu’il est prévu cette année interfère largement avec celui de la procédure d’orientation, ce qui déconcerte plus d’un lycéen. Mener de front la préparation de l’examen, le sésame pour intégrer une formation post-bac, et celle de son orientation, n’est pas chose aisée. « Entre les cours, les révisions du bac, et les épreuves supplémentaires demandées par certaines formations, je me sens un peu perdue, témoigne Pauline*, 17 ans, élève de terminale dans un lycée de région parisienne. Sans compter que ces épreuves vont toutes arriver en même temps au mois de mai, soit un mois seulement avant le bac ». Louis*, 18 ans, élève dans le même lycée, confirme : « Pour Parcoursup, j’ai demandé Sciences Po, Assas, la Sorbonne et d’autres formations sélectives. La préparation, notamment pour Sciences Po, et les éventuelles épreuves d’admissibilité en mai demandent une grosse anticipation, ne serait-ce que pour constituer le dossier. Cette période-là n’inclut pas la réflexion globale sur l’orientation qui peut prendre beaucoup plus de temps. J’ai commencé à penser à Parcoursup dès la seconde… »

La complexité de la procédure Parcoursup, la projection dans l’avenir et la stratégie qu’elle exige des élèves et de leurs familles viennent perturber le bachotage. Cette année, la date limite de confirmation des vœux était fixée au 3 avril à 23h59. Constatant la saturation du site à la suite d’un trop grand nombre de connexions, la plateforme a annoncé un report de l’échéance au 4 avril à 22 heures. La répétition de tels problèmes techniques quelques heures avant la fermeture de la procédure a fait grimper le stress, et pose question : professeurs et responsables pédagogiques alertent depuis des semaines sur les risques de saturation et encouragent les élèves à compléter leurs dossiers sans attendre la date butoir pour éviter une telle situation.

De fortes disparités 

Le principal écueil de Parcoursup réside dans son incapacité à résorber les inégalités entre lycéens. Pire, la plateforme les exacerbe. L’entourage, notamment familial, joue un rôle déterminant dans la réflexion d’un élève sur son projet d’orientation. La fameuse lettre de motivation en 1500 mots demandée par Parcoursup fait souvent l’objet de relectures intenses par les proches, au risque de déposséder l’élève lui-même de « son » Parcoursup. Mais comment reprocher aux parents d’élèves de s’investir dans une procédure complexe aux enjeux majeurs ? 

Le débat semble d’autant plus épineux que les récentes avancées en matière d’intelligence artificielle remettent en cause la pertinence des lettres de motivation. Au-delà de leur impact souvent modéré, voire faible, sur la décision d’admission finale, il y a fort à craindre une intervention de l’IA dans leur rédaction. Entre les parents, la famille et ChatGPT, que va-t-il rester de personnel dans les lettres d’élèves ?

Encourager les jeunes des quartiers populaires

À côté de parents surimpliqués et d’élèves parfois passifs ou interloqués, bon nombre de bacheliers se heurtent seuls et sans appuis aux doutes sur leur orientation. Pour y répondre, de nombreuses initiatives développées sous le prisme de l’égalité des chances ont permis depuis 2017 de proposer un accompagnement aux nombreux lycéens exposés notamment à un risque d’autocensure devant certaines filières dont ils se disent qu’elles ne sont pas pour eux.

Lina* est aujourd’hui en master à Sciences Po. Jusqu’en terminale, et pourtant excellente lycéenne, la jeune fille n’imaginait pas que les portes des grandes écoles pourraient lui être ouvertes. Puis elle a découvert l’existence d’une « prépa Sciences Po » au sein de son lycée, qui forme les élèves à la procédure d’admission via les conventions d’éducation prioritaire (CEP). À 21 ans, elle envisage de passer le concours du Quai d’Orsay et de devenir diplomate. Son parcours inspire autant qu’il questionne sur la difficulté pour les jeunes issus de quartiers populaires à accéder aux études supérieures.

De nombreuses associations, notamment étudiantes, se sont développées au sein des universités et des grandes écoles pour aider les plus jeunes à « oser ». Le mentorat est sur la même logique. En parrainant un ou plusieurs lycéens, l’élève ou le professionnel mentor suit de très près le « filleul », souvent sur de longues périodes. Parmi ces initiatives, Inspire, un site de mise en relation des lycéens avec des étudiants bénévoles qui couvrent un large panel de filières ; l’association La Courte Échelle, qui accompagne les étudiants des filières juridiques ; ou encore Collectif Mentorat, très actif dans le domaine de l’égalité des chances. Le gouvernement a de son côté lancé la plateforme « 1 jeune 1 mentor », en plein développement. 

Comprendre sa personnalité et ses envies

La clé d’apaisement avec Parcoursup résiderait-elle dans l’accompagnement progressif et individualisé, expérimenté depuis plusieurs années auprès de certains lycéens ? Malgré ses améliorations appréciables, la plateforme reste un catalogue de formations, avec des enjeux et des perspectives différentes. Mais le choix presque « à la carte » présente des limites évidentes. L’explosion du nombre de filières, d’écoles privées (souvent non reconnues) et de bachelors en tout genre alimente une indécision anxiogène. 

Réfléchir à son orientation suppose d’abord de comprendre sa propre personnalité, ses envies, ses doutes. Les heures prévues par le ministère au sein des établissements, difficilement mises en place par manque de temps, ne suffisent pas. Une collaboration grandeur nature entre anciens, enseignants et lycéens de divers horizons semble une perspective intéressante. Plusieurs lycées ont déjà expérimenté des évènements similaires : organiser une rencontre avec des anciens élèves représentant un maximum de filières, qui viennent expliquer leur parcours à leurs cadets.

L’année de césure, une bonne piste

De quoi éveiller, pourquoi pas, des vocations, et briser le cliché du « parcours linéaire » que chacun devrait suivre à partir de la troisième. Le taux d’échec à l’université en première année, malgré les divergences concernant les chiffres exacts, invite à réfléchir sur la pertinence de lancer des jeunes sur les bancs de la fac, sans préparation préalable. Repenser le modèle de l’année de césure postbac constitue une piste intéressante.

Le Monde consacrait en novembre dernier un article à ces jeunes qui ont tenté la césure pour réaliser un service civique, une année souvent décisive dans leur parcours de vie, qu’il soit personnel ou professionnel. Cette expérience citoyenne proposée aux jeunes entre 16 et 25 ans, leur a ouvert les yeux sur leurs ambitions et leurs projets futurs tout en éveillant parfois des vocations insoupçonnées. Louise, qui a aujourd’hui 20 ans, fait partie des adeptes du service civique. Hésitante sur ses choix d’orientation en terminale, la jeune femme a réalisé son service civique au sein d’une association d’aide aux devoirs en partenariat avec des établissements de l’est parisien. L’expérience qu’elle qualifie « d’inoubliable » a été déterminante, et elle a repris ses études dans le but de devenir enseignante.

Ces parcours, bien qu’inspirants, sont le reflet d’une minorité d’élèves au clair avec les possibilités de l’année de césure quasiment toujours présentée comme année « blanche ». C’est le constat d’un sondage réalisé par l’Ipsos, dont les résultats présentés en novembre 2023 montrent une méconnaissance avérée du dispositif. Prendre le temps de bien choisir son avenir en tentant plusieurs expériences n’est pourtant pas un luxe mais une bonne stratégie pour limiter les ruptures et l’anxiété qu’elles génèrent.

L. S.

L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Ludmilla Soron
Ludmilla Soron