Richard Millet, « Dictionnaire amoureux de la Méditerranée »

Dictionnaire amoureux de la MéditerranéeEt si c’était une fausse bonne idée ?
À première vue, souhaiter réunir dans un dictionnaire, fût-il présenté sous l’angle de la préférence affective, tous les thèmes, lieux, personnages ayant un rapport avec la Méditerranée, cette mer fermée autour de laquelle s’est bâtie notre civilisation, semble une initiative pertinente, sinon séduisante.
Confier la tâche à Richard Millet, polygraphe talentueux, bien que parfois contesté, dont l’enfance se passa au Liban n’a rien de choquant, même si son origine corrézienne ne le préparait pas spécialement à fréquenter les rivages contrastés de Mare Nostrum.
Le doute survient quand on prend la peine de parcourir avec attention ce copieux ouvrage (plus de 800 pages) qui vient grossir la riche et passionnante collection des « Dictionnaires amoureux ».

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Le « concept » de Méditerranée

On se rend compte alors que le concept de Méditerranée, loin de constituer un ensemble homogène, ou au moins une convergence de références, n’est qu’un assemblage disparate où cohabitent des réalités culturelles multiples, parfois étrangères les unes aux autres, des personnalités que rien ne rapproche, des phénomènes ou des thèmes sans grand rapport entre eux.
Avec beaucoup de conviction, Richard Millet, dans son préambule, affirme refuser le pluriel et tente de nous convaincre que « parler de Méditerranées est trompeur ». Mais, dix lignes plus loin, il nuance ce jugement quand il écrit : « La Méditerranée est pourtant moins une civilisation en soi qu’un laboratoire qui a donné une double civilisation, ou deux civilisations en miroir : celle de l’Europe, et celle du Proche-Orient. »
Voilà qui est plus sage et qui nous encourage à contester la singularité prétendue ou l’unité du modèle.
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Un corpus d’entrées éclectique

Le corpus des entrées renforce, par son éclectisme, l’idée de diversité et parvient à ressembler à un improbable fourre-tout. On a un peu le sentiment que Millet a voulu réunir ici tous les sujets qui lui étaient chers, quel que soit leur rapport avec la Méditerranée. Pour les personnages, par exemple, à côté de noms attendus (Atatürk, Camus, Ibn Khaldoun, Ulysse, Shéhadé… ) apparaissent quelques figures plus surprenantes, tels Giono (qui détestait la mer), Unamuno, Basque natif de Bilbao, Dante le Florentin, Lawrence Durrell né aux Indes, Saint Augustin qui vit le jour dans une ville d’Algérie éloignée de la mer, Nicolas de Staël originaire de Saint-Pétersbourg.
Comment justifier une entrée Stendhal ? Palladio ? Zénobie ? Stradivarius ? Fellini ? François Ier ? Char ? Pavarotti ?
Même mélange hétéroclite pour les lieux : oui à Cythère, mais pourquoi Venise ? à Césarée, mais que vient faire Eboli ? à Gênes mais quid de Port-Royal ? Si l’on regarde les œuvres, pour quelle raison retenir Le Désert des Tartares ? Et, dans les plats, d’accord pour la Bouillabaisse, mais pourquoi le Cassoulet  ou le Panettone d’origine lombarde ?
La promenade peut s’avérer plaisante par son côté incongru ou imprévisible, mais elle nous entraîne parfois dans des territoires fort éloignés du programme annoncé.
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Notices et confidences

Le guide lui-même semble s’égarer et s’en tient le plus souvent, c’est un autre motif de regret, à de simples développements dénotatifs ou encyclopédiques. L’entrée Lampedusa, résume la vie de l’auteur du Guépard ; l’entrée Cid raconte l’œuvre de Corneille qui porte ce titre ; l’entrée Marbre explique l’origine et l’usage du matériau.
Plutôt que des variations « amoureuses », nous sont proposées, pas toujours il est vrai, quelques notices de style Wikipédia. À moins, dérive opposée, que Millet, délaissant son sujet, préfère nous livrer des confidences personnelles, des souvenirs de jeunesse ou des rencontres de voyage. Ainsi pour les articles Héros, Ischia, Quéribus, Lettre sur les printemps arabes, Pesaro.
Ces réserves limitent, sans l’annuler, le réel agrément que procure ce dictionnaire. Richard Millet trouve le ton juste et une belle éloquence pour parler des Bains ou des Mezzé, de René Guénon ou d’Edmond Jabès, d’Olbia (en Sardaigne) et de Sélinonte (en Sicile). Nous lui pardonnons les lacunes ou la subjectivité, « la Méditerranée étant surtout une manière personnelle d’être au monde », comme il l’écrit. Nous aurions aimé qu’un choix plus rigoureux dans les thèmes nous en fournisse la preuve.

Yves Stalloni

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• Richard Millet, « Dictionnaire amoureux de la Méditerranée », Plon, 2015, 806 p.
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Yves Stalloni
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