Sous la menace, de Vincent Almendros :
le plaisir du malaise

Tragique prise de conscience en pleine puberté d’un adolescent harcelé et sur qui pèsent les non-dits : le romancier est amateur d’orages et aime tendre des pièges au lecteur qui se laisse prendre volontiers.
Par Norbert Czarny, critique littéraire

Tragique prise de conscience en pleine puberté d’un adolescent harcelé et sur qui pèsent les non-dits : le romancier est amateur d’orages et aime tendre des pièges au lecteur qui se laisse prendre volontiers.

Par Norbert Czarny, critique littéraire

Vincent Almendros a publié quatre romans depuis 2011, et ils ont en commun la brièveté et l’intensité : chacun est tendu, inquiétant, troublant. Les personnages sont peu nombreux, trois ou quatre, et le cadre est restreint, étouffant. Le ciel pèse comme un couvercle sur ces êtres aussi troubles que les rapports qu’ils entretiennent entre eux.

Dans Un été (Les Éditions de Minuit, 2015), par exemple, un quatuor se retrouve sur un voilier dans la baie de Naples, et un certain passif entre eux provoque le pire. Rien n’est écrit de façon évidente, mais des méduses, une chaleur intense, des yeux aveuglés par le soleil signalent un malaise, une sorte de mal de mer. Dans Faire mouche (Les Éditions de Minuit, 2018), le narrateur retrouve sa mère qui aurait tenté de l’empoisonner jadis. Elle ne semble pas s’en souvenir, mais son accueil – « Tiens un revenant ! » – n’a rien de maternel…

Dans Sous la menace*, son dernier roman, Quentin, quinze ans, est élève au collège Joliot-Curie de Meaux. Mais plus pour longtemps : harcelé et insulté par un camarade, puis surpris en pleine bagarre dans le gymnase, il est sous la menace d’un conseil de discipline. Sa mère l’a déjà inscrit dans un établissement privé dont son harceleur a été exclu. Une même sanction les rapproche. Au moment où débute le livre, Quentin se rend en week-end chez ses grands-parents paternels. Là où ils habitent se trouve la tombe de son père qu’ils vont fleurir, sa mère, sa cousine Chloé et lui. Il est mort dans des circonstances qui seront dévoilées lors d’une scène cruciale et qui vont modifier le rapport de force entre sa mère et Quentin.

L’ambiance est lourde entre ces orages qui menacent, le conseil de discipline et des non-dits pesants. Sans compter que le grand-père perd la tête, ce qui provoque un certain désarroi dans la maison.

Illusion réaliste

Le texte est rempli d’ellipses et de sous-entendus pour finir par un rebondissement tel que l’auteur les affectionne, comme à la fin de Faire mouche. Vincent Almendros marie suspense et surprise. Le lecteur est lui-même pris au piège, ne sachant jamais où réside le danger. La banale description d’un doudou en est une illustration : « Avec son corps sale, ses jambes maigres et ses oreilles qui pendouillaient, je reconnus tout de suite le lapin avec lequel ma cousine dormait. C’était une peluche gris clair, une sorte de doudou en laine bouillie, dont le ventre, quand on l’écrasait, était mou comme s’il était embourré de sable ou de petites billes. Il ne sentait pas très bon et je l’abandonnai sur le matelas, à côté du manuel et du cahier Clairefontaine que je venais d’extraire du sac. »

L’objet n’est pas aussitôt désigné : une mise en apposition retarde le moment de le nommer. Cela vaut pour un poisson cuisiné par la grand-mère, comme pour dire la puberté qui transforme le narrateur en une sorte de monstre. Chez ce romancier, l’art du détail est essentiel : chaque phrase préparant l’annonce se lit comme on chercherait un piège.

Vincent Almendros travaille l’illusion réaliste jusqu’à l’excès, sans craindre le grotesque. Dans ses pages sur les insectes, ceux-ci pullulent quand l’orage menace. Dans Faire mouche, un insecte incarnait le malaise entre les personnages autant que la saleté régnant dans la maison. Dans Sous la menace, ce sont des guêpes qui rôdent d’abord, puis des sortes de fourmis ailées surgissent : « Celles qui avaient le plus de mal à se mouvoir se laissaient monter dessus par les plus vives, formant ainsi, peu à peu, une colonie grouillante et frénétique, sans qu’on sache bien si ces fourmis descendues du ciel s’attaquaient entre elles maintenant ou cherchait à copuler ».

La tonalité n’est pas dérangeante par hasard : les animaux sont le miroir des hommes. L’auteur joue en faisant des références à ses propres romans : Dans Un été, une casquette circulait à travers les pages. Ici, un perroquet nommé Charles ne cesse de répéter des « À table Charles ! Tu parles Charles ! » qui donne une dimension comique à ce clin d’œil à Un cœur simple glissée.

Ce roman tordu à souhait rappelle quel plaisir suscite la fiction. Vincent Almendros, comme Yves Ravey et de trop rares auteurs, fait confiance au lecteur, à son goût de l’intrigue. Lequel n’existe pas sans une forme accomplie, soignée. Lire un roman d’Almendros, c’est aussitôt avoir envie de le relire pour savoir quand et comment il nous a pris dans ses rets.

N.C.

Vincent Almendros, Sous la menace, les Éditions de minuit, 144 pages, 17 euros.


L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Norbert Czarny
Norbert Czarny