Yé ! (L’eau), de la compagnie Circus Baobab :
explosion d’énergie

Dans un désastre de plastiques se joue, sur la scène du théâtre de la Scala à Paris, un autre drame : la guerre de l’eau, sous forme d’une fresque chorégraphiée, d’une rare intensité. Les deux femmes et neuf hommes de la troupe sont d’anciens enfants des rues ayant rejoint le collectif itinérant Circus Baobab, précurseur du cirque ouest africain.
Par Philippe Leclercq, critique

Sur scène, une double rangée de bouteilles écrasées. Elles évoquent quelque navrant spectacle de plages souillées. Elles rappellent également les promesses faites il y a peu à Sapporo (Japon), par les ministres du climat, de l’énergie et de l’environnement du G7, de mettre fin à la pollution plastique d’ici à 2040. Il y a, en effet, urgence. Selon l’association No Plastic In My Sea, il se déverse toutes les minutes l’équivalent d’un camion poubelle de déchets plastiques dans les océans. Soit environ 11 millions de tonnes par an qui, au rythme actuel – en constante augmentation –, auront quadruplé en 2050.

Si le spectre d’un monde pollué par le plastique hante le spectacle, c’est d’un autre fléau dont nous parle Yé ! (L’eau) – traduction en langue soussou du plus vital des breuvages. Sur scène, entre deux rangées de bouteilles écrasées, une jeune femme attend seule dans l’ombre. Après un rapide coup d’œil alentour, elle se jette sur l’unique bouteille restée intacte avant d’en vider prestement le contenu. Et avant que ne surgisse un grand type venu lui disputer son trésor à la manière d’un danseur sorcier déployant charmes et contorsions. Attirés par la même convoitise, d’autres costauds déboulent sur le plateau et s’emparent à leur tour de la bouteille, qui virevolte bientôt dans les airs, passe de main en main, d’une bouche à l’autre, au rythme rapide de figures compliquées et d’exploits des corps tendus vers la même urgence de vie, le même besoin de se désaltérer.

Portés, flip-flap, saltos, pyramides

Dérèglement climatique, sécheresse à répétition, épuisement des nappes phréatiques… La guerre de l’eau est déclarée. Yé ! (l’eau) en imagine les péripéties sous forme d’une fresque chorégraphiée d’une rare intensité. Les tableaux qui en composent la narration impressionnent autant par les hypothèses de conflit que par les numéros auxquels se livrent les onze artistes sur scène. Ces deux femmes et neuf hommes de 18 à 32 ans reviennent de loin. Originaires de Conakry, en Guinée, ils ont tous été des enfants de la rue auxquels le collectif itinérant Circus Baobab, précurseur du cirque ouest africain, a tendu la main pour les former aux arts de la piste.

Sous la direction artistique de Kerfalla Bakala Camara et du metteur en scène français Yann Ecauvre, leur spectacle est une performance mêlant cirque, théâtre et danse (break et krump) au cours d’un récit conduit à une vitesse étourdissante. Les portés acrobatiques, les bonds, les envols, les contorsions d’Amara Camara (hallucinantes !), les flip-flap et saltos sans fin stupéfient d’audace et de virtuosité. La débauche d’énergie est sidérante. Des pyramides de corps à trois étages s’érigent et se démontent en un clin d’œil dans des avalanches de sauts et de cabrioles à la limite du vraisemblable. Mais par-delà les risques pris par chacun des acrobates, Yé ! (l’eau) fait la démonstration de la nécessaire union pour réussir collectivement, pour aller plus haut, plus vite, plus loin. Du groupe parfaitement solidaire se dégage une confiance absolue. Une confiance qui est une force pour assurer la sécurité de chacun, pour rendre possible tous les défis, pour repousser toutes les limites et faire naître tous les espoirs.

P. L.

Jusqu’au 10 juin 2023 au théâtre de La Scala, à Paris. Puis du 7 au 29 juillet à La Scala Provence.


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Philippe Leclercq
Philippe Leclercq