Ultimes conseils
pour une préparation en urgence
à la dissertation du bac de français
Par Antony Soron, maître de conférences HDR, formateur agrégé de lettres, Inspé Paris Sorbonne-Université
Dans son essai, Réelles présences. Les arts du sens, le linguiste Georges Steiner fustigeait le manque de rencontre directe des lecteurs avec le texte littéraire : « L’air est saturé par le bourdonnement perpétuel que produisent les commentaires esthétiques, les jugements à la minute » (p. 45). La méthodologie d’urgence sous forme de trousse de secours ne correspond certes pas à une rencontre authentique avec le livre. Mais il est possible, de façon pragmatique, de donner aux élèves des clefs pour répondre à l’interrogation paradoxale que Pierre Bayard a choisie en titre de son essai retentissant : Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ?
Règle n° 1. Partir de questions de bon sens.
L’idée, en cinq petites journées, reste d’aller à l’essentiel. Pas question donc de relire in extenso les œuvres au programme, et ce même pour les plus courtes comme Juste la fin du monde (Jean-Luc Lagarce). En clair, il convient de privilégier un apprentissage utile, autrement dit un apprentissage susceptible de nourrir l’introduction, les trois parties du développement et la conclusion. Selon cette perspective, la « bonne » stratégie à adopter tourne autour de trois questions simples : qui ? Quand ? Comment ?
Qui ? L’interrogation renvoie à l’auteur. Ne rien savoir sur Victor Hugo en admettant l’hypothèse (peu probable) que la poésie retombe cette année, serait problématique pour aborder sereinement un sujet sur Les Contemplations. L’approche biographique n’est donc pas du tout à négliger, quel que soit l’écrivain concerné, y compris, par exemple, l’abbé Prévost, l’auteur de Manon Lescaut. Cela pourra donner du grain à moudre pour étoffer l’introduction. En outre, la vertu du « biographique » demeure plus productive, et ce, cette fois, à l’échelle tout entière de la dissertation. En effet, un texte littéraire n’est jamais complètement le fruit du hasard, ou si l’on préfère d’une inspiration soudaine ou illuminée. Il s’inscrit dans un parcours bio-bibliographique dont il convient d’avoir au moins une petite idée.
Quand ? La question fait référence à la fois au moment de la vie de l’auteur où l’œuvre est écrite et à la période historique à laquelle elle correspond. C’est ce que l’on appelle recontextualiser le texte étudié. Prenons l’exemple des Caractères, de La Bruyère, qui effraient, à tort, les bacheliers. D’évidence, ignorer que le moraliste a été introduit à la cour de Versailles et qu’il appartient à l’époque de la monarchie absolue de Louis XIV serait malencontreux. Car cette appartenance au monde de la cour conditionne sa manière d’écrire.
Comment ? Réflexion plus subtile que les deux précédentes. Il s’agit d’interroger ce qu’une œuvre littéraire donnée apporte de nouveau au genre auquel on peut la rattacher. Si l’on reprend Les Caractères, on n’aura aucun mal à constater qu’il s’agit d’énoncés relativement courts. Ce qui peut laisser penser à quiconque ayant lu au moins une fable de La Fontaine ou un conte de Perrault que les histoires courtes sont très à la mode au Grand Siècle. La Bruyère écrit à la fois selon les constantes de son époque tout en apportant sa petite touche personnelle. Par exemple, par la méchanceté de certains de ses portraits.
Règle n° 2. Discuter l’étiquetage absolu d’une œuvre
Dire que Manon Lescaut est un roman d’aventures n’est pas faux. Cependant, il ne s’agit pas d’une caractérisation définitive tant on sent bien que l’on n’est pas ici dans un épisode type d’une série Netflix. Aussi, dans toute dissertation, aura-t-on à se poser la question de savoir en quoi une œuvre est à la fois légitimement étiquetable en première analyse : roman, tragique, comique, élégiaque, et difficile à circonscrire à cette seule étiquette. Juste la fin du monde est-elle une pièce tragique ? Certes. Mais cette caractérisation apparaît-elle si absolue ? Ne mérite-t-elle pas d’être débattue ? On voit bien ici que la logique dialectique de la dissertation fonctionne à plein avec ce type de questionnement. Autre exemple : pour Manon Lescaut, de Grieux est un héros. Mais pas seulement. Manon Lescaut est une histoire tragique. Mais pas simplement. En conséquence, toute dissertation invite à la nuance, autour d’une réponse en deux parties, tournant en gros autour d’un « Oui… mais ».
Se convaincre de cette logique ne suffira pas à concevoir une belle dissertation en bonne et due forme. Au-delà de la seule rhétorique, les correcteurs attendent, comme des jurés de tribunaux, l’énoncé de preuves du côté de la plaidoirie (pour) comme du réquisitoire (contre). On aura tout lieu, donc, de leur donner suffisamment de pièces concrètes pour que leur opinion se fasse sur la valeur du raisonnement.
Règle n° 3. Constituer sa petite anthologie de citations par œuvre.
Après avoir retenu la trame ou le mouvement d’une œuvre donnée par le biais de résumés qui fleurissent sur internet, on aura tout intérêt à sélectionner des extraits représentatifs de chacune. De ce point de vue, il existe quelques impondérables. Difficile par exemple, si l’on tombe sur Les Contemplations, de ne pas avoir appris par cœur certains extraits emblématiques. « Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne » reste un vers trop célèbre pour être ignoré des bacheliers. On aura du mal à excéder cinq citations par œuvre. Toutefois, cette petite valise reste impérative pour « limiter la casse » en termes de « connaissance de l’œuvre ».
La relecture à voix haute de courts extraits où l’on trouvera les citations de référence est toujours bienvenue. Dans l’entreprise synthétique qui s’engage en urgence, il convient tout de même de ménager de courts temps de rencontres authentiques avec le texte de référence. Quinze minutes de lecture à voix haute pour chaque œuvre seront hautement bénéfiques.
Règle n° 4. Ne pas annihiler le sujet lecteur que l’on est.
Il serait regrettable de n’en rester qu’au ragréage de fragments de cours dans sa copie. Ainsi, même avec peu de connaissances, on est souvent à même d’avoir des interprétations plus fructueuses qu’imaginées au départ. Après tout, des histoires d’aventures (comme Manon Lescaut), on en connaît nécessairement. On en est peut-être même férus par le biais des séries. D’où le fait que, pour problématiser un sujet de dissertation, il ne faut pas refuser de se questionner par rapport à ce que l’on connaît.
Exemple moins joyeux, tout un chacun, de près ou de loin, a été touché par la perte d’un être cher. Les sentiments inhérents au deuil exprimés par Victor Hugo dans ses Contemplations demeurent universels. De cela, même certains textes de rap en parlent. L’évocation dans sa réflexion personnelle de sentiments peut ainsi permettre d’établir au moins un semblant de connexion avec l’œuvre étudiée. Il n’est donc pas inintéressant d’établir des liens entre ce que l’on connaît bien (sa propre culture, sa propre expérience) et ce que l’on connaît moins (les textes que l’on a partiellement lus). Tout raisonnement a besoin de points d’ancrage pour éviter de se noyer dans l’abstraction.
Il faut se convaincre, enfin, que les œuvres patrimoniales qui sont au programme ont continué d’exister dans la culture commune en dépit de leur éloignement temporel. D’où la nécessité de se demander dans quelle mesure, telle ou telle histoire, tel ou tel personnage, a toujours une certaine actualité. Ce qui pourra aider à concevoir la partie la moins aisée à entreprendre, en l’occurrence, la troisième. Pour finir ce vade-mecum sur une note humoristique, pourquoi ne pas se référer aux truculents billets de l’humoriste Louison Daniel sur France Inter qui, avec les mots de notre époque, portraitise comme dans Les Caractères.
A. S.
Lire également l’article de Marie-Astrid Clair : « Bac français : pour celles et ceux qui choisissent le commentaire de texte »
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