« Encore et jamais », de Camille Laurens

camille-laurens-encore-et-jamaisCamille Laurens a plusieurs fois remis l’écriture de ce livre. Un livre sur la répétition, sur ce qui revient, se ressasse suscite quelque peu le rejet ou l’attente. Encore une fois, se dit-on, et l’on s’interroge, comme elle le fait en ouverture de ce livre : « Répétons-nous pour notre malheur ou notre plaisir ? Répéter, est-ce vivre à grandes guides ou mourir à petit feu ? Se hâter vers un idéal, se blottir dans le bien connu ou radoter sa propre impuissance ? »
Encore et jamais répond à ces questions, et à d’autres, s’appuyant sur les lectures, les chansons, les arts vivants, pour décliner ce verbe répéter qui, comme le mot encore, dont le « e » reste toutefois muet, s’appuie sur une syllabe qui semble peser. Camille Laurens écrit des variations sur ce thème et ses courts chapitres sont autant de voies ouvertes, de lumières jetées sur le mot et ses effets, ses résonances.….

.

On ne répète pas toujours…

Commençons par dire (mais n’est-ce pas pour nous rassurer ?) que l’on ne répète pas toujours. Ainsi, les musiciens ne le font pas. Ils re-cherchent, anticipent une chose future, pour reprendre les mots de l’auteur. De même, au théâtre, une représentation reste unique. On peut jouer pendant des décennies La Cantatrice chauve, ce n’est pas la même pièce chaque soir. Et puis, un écrivain comme Marguerite Duras travaillant avec Depardieu sur Le Camion refuse de préparer et donc de répéter. Et Michel Simon demandait à Guitry le dirigeant dans La Poison de ne faire qu’une seule prise.
Il en va de même de ce que l’on appelle la relecture. On ne relit pas un livre. Ne serait-ce que parce que le « je » qui dirait « Je relis Stendhal ou Hugo » est ce que Camille Laurens considère comme « un abus de langage, une facilité sémantique ». Mais aussi parce que relire c’est oublire, selon le beau mot d’Hélène Cixous : « Pour moi, lire et oublier vont ensemble. Je peux lire vingt-cinq fois Le Joueur de Dostoïevski. Non que je sois amnésique. À chaque lecture je trouve la même chose et autre chose, le temps la change. Pourquoi parler de lire, alors que c’est oublire ? »

La répétition, figure de l’art moderne

La répétition est une figure de l’art moderne. On peut dire pour le pire, mais aussi pour le meilleur. Camille Laurens cite à ce propos Gertrude Stein, mais aussi et surtout des musiciens comme Philip Glass, Terry Riley ou Steve Reich, qui ont inscrit ce principe et les variations qu’il engendre dans leur musique. Cela en fait la force, et souvent l’émotion. Ce même principe de répétition qui guide l’écriture d’un Thomas Bernhard ou de Beckett en fait la puissance comique et ravageuse. Dans un registre différent, Camille Laurens cite des vers hypnotique de Bérénice de Racine, et toute la musique de la langue en jaillit, en même temps que l’émotion.
Mais la répétition, elle le montre, est aussi force destructrice. Elle a fort à voir avec l’instinct de mort. On répète pour rester dans le même, pour éviter ce qui est nouveau, risqué. On répète par peur. C’était le cas, par exemple, de sa grand-mère qu’elle décrit dans ses gestes quotidiens, le repassage en particulier, activité liée à la répétition des gestes s’il en est, et elle met cette activité féminine en relation avec l’angoisse qui pesait sur l’enfant qu’elle était, observant des sardines dans une boîte : la grand-mère comme les poissons étaient à leur place…
L’angoisse est demeurée, changeant de motif, liée à d’autres situations. Au cœur de l’œuvre de Camille Laurens, il y a Philippe, l’enfant que l‘obstétricien n’a pas su faire naître, le laissant s’épuiser au lieu de pratiquer une césarienne. Ce deuil ne la quitte pas, et comme dans les textes de Philippe Forest, il hante les pages de ce recueil.
Si elle a beaucoup tardé à l’écrire, Camille Laurens n’est pas restée enfermée dans cette angoisse qui peut précéder l’écriture. Elle n’est pas nostalgique, n’a pas de regrets : « Je ne veux pas retrouver celle que j’ai été, je préfère chercher celle que je serai. »
 

L’amour et l’écriture

Celle qu’elle sera échappe de deux façons à la compulsion mortifère : par l’amour et par l’écriture. Autrement dit, par ce qui advient. Ses lecteurs le savent, qui auront peut-être découvert la jeune romancière avec L’Amour, roman, dans lequel elle parlait de cet amour de la vie (et des hommes) envers et contre tout. On en aimait l’élégance et la vivacité. On la retrouve ici :
« Se réveiller aimée est une résurrection quotidienne, une insurrection renouvelée contre l’ennui, le temps, la mort. L’autre nous met debout par le souvenir qu’on a d’en être libre. Écrire soulève le dessus du cercueil, on respire plus large. Même si on reste trois heures à malmener la même phrase, on a le sentiment non d’un ressassement mais d’un renouvellement continu, libéré de la domination de la peur et des heures. Tout est passage, flux s’en venant et s’en allant. On devient chinois quand on écrit. »

Norbert Czarny

 
• Camille Laurens, « Encore et jamais », Gallimard, 2013.
 

Norbert Czarny
Norbert Czarny

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *