Innover pour une école plus juste et plus efficace

Innover pour une école plus juste et plus efficaceIl y a à peine un mois, dans l’indifférence générale, le Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative (CNIRE), créé en 2013 à la demande du ministère de l’Éducation nationale, remettait son dernier rapport sur les pratiques innovantes.
Ici encore l’objectif – celui qui a été le mot d’ordre du ministère durant tout ce quinquennat – était de lutter contre les inégalités sociales, considérées comme la première et principale tare de notre système éducatif. Dans cet esprit, le comité a voulu mettre l’accent sur les innovations collectives plus que sur les initiatives individuelles, recherchant les effets sur le grand nombre plus que sur des publics privilégiés.
Enfin loin de vouloir prescrire, les rapporteurs se sont voulus observateurs de l’existant, conscients de deux freins au développement optimal de l’innovation : d’une part le sentiment désagréable chez les enseignants d’une injonction officielle à innover, de l’autre l’inévitable encadrement hiérarchique comme les CARDIE ou DRDIE, souvent jugé lourd et décourageant.

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Innover pour quoi faire ?

Le rapport pose d’abord cette audacieuse question : peut-on apprendre à innover ? S’intéressant en premier lieu à la formation initiale (aux ESPÉS notamment), le Cniré se demande si toutes les compétences requises pour innover sont mobilisées : travail en équipe, analyse et interrogation sur les pratiques existantes – peut-on aller plus loin ?
Mieux encore, la formation continue est perçue comme un levier sous-exploité : passer de la formation au développement professionnel. Bien qu’inscrite au nombre des compétences professionnelles du référentiel de 2013, cette notion de développement tarde à se réaliser concrètement avec la possibilité donnée à tous les enseignants au cours de leur carrière de mieux s’informer pour mieux évoluer dans leur exercice du métier. Et pour convaincre les plus réticents il faut alors pouvoir répondre à la question : innover pour quoi faire ?
Le CNIRÉ dégage quatre pistes, faisant la promotion de quatre critères d’identification de l’innovation : la nouveauté (plus d’attention à la qualité des apprentissages), les valeur (plus d’égalité),le pouvoir (innover dans un cadre et conserver sa liberté pédagogique, le changement (comprendre les besoins de réforme).
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Quelle démocratisation scolaire ?

Pour le CNIRÉ, la grande question est la démocratisation scolaire. Rappelant les enquêtes (notamment Pisa 2015) pointant la persistance des inégalités à l’école, il s’agit pour les auteurs de subordonner l’innovation à cet objectif social : la réussite pour tous. L’idée est que la pédagogie peut lutter contre les inégalités : faire en sorte que les élèves comprennent mieux ce qu’on leur demande ; que l’école fasse sens pour les plus défavorisés, que la mobilisation soit globale, que la cohérence des apprentissages soit plus marquée.
D’où des réflexions engagées sur la motivation, sur l’évaluation, sur la différenciation, sur la mixité scolaire. L’innovation c’est donc d’abord changer le regard des enseignants sur les élèves, les rendre plus compréhensifs face aux difficultés rencontrées. C’est aussi apprendre à travailler ensemble, faire alliance, impliquer tous ceux qui entourent les élèves pour mieux les soutenir dans le processus éducatif. Le CNIRÉ affirme  ainsi, ne cachant pas son engagement idéologique dans sa vision de l’innovation :
« Nous proposons que la lutte contre les inégalités devienne un critère majeur d’évaluation des établissements et des enseignants. »
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Les propositions du CNIRÉ pour une école plus efficace

Le rapport s’efforce d’abord de clarifier la notion d’efficacité en en donnant quatre éléments de définition : l’adéquation des moyens à des fins, l’évaluation de l’action entreprise, la reconnaissance de différentes voies possibles pour atteindre ses fins (une école décentralisée et autonome), une capitalisation de l’expérience équivalant à une compétence collective.
À cette fin le CNIRÉ propose une piste intéressante : la constitution d’établissements scolaires formateurs.
Ces établissements innovants se caractériseraient par une « déprivatisation des pratiques enseignantes », un « faire équipe » supposant un réaménagement d’espace commun, une reconfiguration des temps de travail favorisant le travail collectif, une formation continue effaçant la frontière entre ceux qui savent et ceux qui apprennent.
La synthèse de ces réflexions se présente sous forme de propositions :
– rapprocher tous les acteurs de l’éducation, mutualiser les expériences et les ressources, promouvoir la coopération : co-observation, co-enseignement, co-formation,
– créer des tiers lieux dans les établissements scolaires destinés aux échanges, inscrire dans l’emploi du temps deux heures « pour améliorer l’école »,
– faire évoluer les ESPÉS vers un accompagnement de début de carrière favorisant le développement professionnel,
– oser changer de regard (pratiquer l’autocritique, l’auto-évaluation),
– accroître la lisibilité des acteurs institutionnels de l’innovation,
– favoriser la mixité professionnelle et encourager les plus expérimentés ou les plus diplômés à travailler en éducation prioritaire,
– organiser une évaluation qui valorise les initiatives de lutte contre les inégalités…
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Mais tout l’effort doit-il reposer sur les seuls enseignants ?

Il est toujours difficile de s’opposer à des objectifs aussi démocrates : le souci de la justice scolaire animera toujours les défenseurs d’éducation. Les moyens proposés par le CNIRÉ peuvent cependant laisser sceptiques : ce qui frappe dans ce rapport c’est qu’en matière d’inégalité scolaire, tout l’effort semble reposer sur les enseignants et rien ne semble être exigé des élèves. Comme si c’était aux enseignants seuls qu’il importait de se réformer, les élèves, leur famille, leur entourage étant exemptés de la moindre invitation à la réforme. D’un côté des responsables, de l’autre des victimes.
Les profs peuvent multiplier les concertations, les co-élaborations de cours, de correction, d’évaluation, l’innovation viendra aussi des élèves, de nouvelles attitudes en classe ou au travail et de mesures prises dans ce sens, par la taille des classes, la nature des programmes, la redéfinition des matières à enseigner.
Enfin, contrairement au CNIRÉ qui demande sinon plus, du moins autre chose aux enseignants, on se demandera si la véritable innovation ne consiste pas à développer l’enseignement en l’absence de professeurs, le développement de moocs et d’autres formes de cours individualisés : la co-élaboration de l’enseignement n’est peut-être pas seulement dans des agglomérats d’acteurs de l’éducation, mais aussi dans une intelligence nouvelle du professeur et de la technologie.

Pascal Caglar

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• Télécharger le rapport : Innover pour une École plus juste et plus efficace : synthèse des travaux du Cniré 2016-2017.

Pascal Caglar
Pascal Caglar

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