Nouveaux programmes de français : les œuvres enfin connues

Nouveaux programmes de français en premièreL’actualité de l’école, entre mobilisations lycéennes pour l’environnement et mouvements enseignant pour une révision des réformes en cours, ferait passer à côté d’une publication d’importance survenue cette semaine : les nouveaux programmes d’œuvres en français pour la classe de première à la rentrée prochaine.
Ce retour d’un programme national, événement en soi après des décennies de simples recommandations, était très attendu, suscitant crainte et curiosité, dépassant l’objectif scolaire pour délivrer un message idéologique.
Quelles sont alors, réparties dans les quatre objets d’études basiques (poésie, roman, littérature d’idées, théâtre), les douze œuvres parmi lesquelles les enseignants en auront quatre à travailler avec leurs élèves ?

Les œuvres retenues

De prime abord le Ministère a choisi la stabilité, la continuité, la reconduction de classiques de l’institution scolaire, de quoi ne heurter personne, qu’il s’agisse de la voie générale ou technologique :
– Hugo (Les Contemplations), Baudelaire (Les Fleurs du mal), Apollinaire (Alcools) pour la poésie ;
– Montaigne, La Fontaine, Montesquieu (Lettres persanes) / Voltaire (L’Ingénu) pour la littérature d’idées ;
– Mme de La Fayette, Stendhal (Le Rouge et le Noir) / Verne (Voyage au centre de la Terre), Yourcenar (Mémoires d’Hadrien) / Sarraute (Enfance) pour le roman-récit ;
– Racine (Phèdre) / Molière (L’École des femmes), Beaumarchais (Le Mariage de Figaro), Beckett (Oh les beaux jours) pour le théâtre.
Textes et auteurs consensuels, de nature à confirmer une culture patrimoniale, consacrés par le temps, bien connus des enseignants, des éditeurs scolaires, des associations et parents soucieux de tradition littéraire, la liste semble devoir satisfaire tout le monde, ne donnant ni surcroît de travail, ni matière à débat. Du reste, les mécontents, les frustrés n’auraient-ils pas tout loisir de pallier leur éventuelle déception avec les parcours associés laissés à l’initiative de chacun pour élargir et contextualiser les œuvres retenues ?

Pertinence pédagogique ou prudence politique ?

D’un peu plus près, ce classicisme scolaire semble relever davantage de la prudence politique que de la pertinence pédagogique. En effet alors même que les bornes des objets d’étude (trois sur quatre pour être précis) s’étendent jusqu’au XXIe siècle, alors même que le programme repose sur une liberté de choix, les œuvres proposées datent au mieux des années 1856-1913 pour la poésie  (pourquoi alors sous-entendre l’inclusion de la littérature contemporaine ?) et les auteurs sont de notoriété et d’exigence égales (à quoi bon un choix entre textes plus ou moins interchangeables ?).
Quitte à proposer trois œuvres par objet d’étude, on aurait pu intégrer d’autres critères que celui de la valeur consacrée, en l’occurrence le critère pédagogique, celui de la difficulté objective, afin de permettre un choix adapté au niveau et au goût de chaque classe, ou encore le critère de l’originalité, celui d’auteurs ou d’œuvres à découvrir, offrant la possibilité d’une infidélité bien pardonnable à la tradition et souhaitée par beaucoup d’enseignants.

Une discrimination implicite voie générale / voie technologique

Enfin la distinction voie générale / voie technologique ne paraît pas obéir à des principes moins contestables. On peut d’abord se demander si elle était nécessaire ou non ; cette question manifestement résolue par le Ministère dans un sens positif, on peut s’étonner que les différences de programme soient irrégulières, présentes dans trois objets d’étude sur quatre (pourquoi pas systématiquement ?) et d’une manière discriminante : Racine trop peu accessible pour des technologiques, donc Molière ? Stendhal trop difficile, donc Jules Verne ? L’Ingénu plutôt que les Lettres persanes ? Enfance plutôt que les Mémoires d’Hadrien ?
Il y a là une forme de maladresse découvrant une question de fond sur le type de culture que l’on veut donner, uniforme ou différenciée, sur une pédagogie que l’on veut instaurer, fondée sur l’élève ou le savoir à transmettre.

*

Dresser une liste d’auteurs au programme ne peut jamais être pleinement satisfaisant, pas même sans doute pour ceux qui la conçoivent. Il suffit de reprendre le livre d’André Chervel, Les Auteurs français, grecs et latins au programme de l’enseignement secondaire de 1800 à nos jours, pour se rendre compte que l’idéologique et le scientifique forment toujours une alchimie délicate à réaliser.
Après tout, ce programme 2019-2020, confondant sciemment panthéon et culture, ouvre la porte à bien des évolutions possibles, puisque six œuvres seront renouvelées chaque année, offrant l’occasion de dosages différents, et pourquoi pas, d’écoute attentive des réactions de la base.

Pascal Caglar

Voir sur ce site :
Ré-enseigner la langue au lycée : le défi des nouveaux programmes, par Antony Soron.
Humanités, littérature et philosophie : un enseignement de spécialité repoussoir ?, par Antony Soron.
Le nouveau programme de français en seconde et en première : continuité ou rupture ? par Jacques Vassevière.
Les nouveaux programmes de français au lycée, par Pascal Caglar.
Les nouveaux programmes au Bulletin officiel du 22 janvier 2019.
Pour des programmes ouverts sur la littérature européenne, par Stéphane Labbe.
Quelle place pour la littérature européenne à l’école ? par Pascal Caglar.

Pascal Caglar
Pascal Caglar

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