#PasDeVague. Une loi du silence qui ne dit pas son nom

Le tout récent épisode filmé de cette professeure menacée en plein cours par un élève avec une arme factice n’a pas tardé à envahir les réseaux sociaux et produire son onde de choc.
Le hashtag #PasDeVague fédère désormais une quantité considérable de témoignages aussi saillants qu’édifiants, posant nécessairement la question : et maintenant que change-t-on ?

Une loi du silence qui ne dit pas son nom

Un fait aussi grave que spectaculaire que celui qui a eu lieu à Créteil suscite en tout légitimité l’émotion et la colère. Il n’y a donc aucune raison de s’offusquer que quantité d’enseignants osent exprimer les agressions verbales et/ou morales dont ils ont été victimes et qui n’ont pas reçu une attention suffisamment soutenue de la part de leur hiérarchie. On serait même enclins à penser qu’il était temps que certaines choses soient dites massivement afin que chaque cas de transgression violente de l’intégrité morale des enseignants soit enfin considéré à sa juste mesure. En outre, aussi « médiatique » que soit l’évènement déclencheur du hashtag, il ne saurait faire oublier qu’il n’est pas nouveau.
On se rappellera ainsi combien La journée de la jupe de Jean-Paul Lilienfeld (2009) avait suscité des réactions controversées à l’intérieur et à l’extérieur de l’Éducation nationale. Alain Finkielkraut en faisant même dans son essai, L’Identité malheureuse (2013), un exemple à charge concrétisant le déclin inexorable de la possibilité de l’enseignement républicain.
En 2007, un groupe de rock français, Les fatals Picards, n’avait pas manqué  de stigmatiser le désarroi du corps professoral dans un texte très « cash » intitulé ironiquement « La sécurité de l’emploi », comme peut en témoigner le couplet suivant :

« La prof de gym n’est pas venue,
s’est faite agresser dans la rue,
mais bon ils l’avaient avertie,
ils veulent pas d’sport avant midi »

Si l’insécurité professionnelle des professeurs reste une donnée à prendre fondamentalement en compte, qu’en est-il très concrètement de cette présumée loi du silence que le hashtag #PasDeVague souhaite briser ?

Une culture du silence ?

Un fait spectaculaire comme celui de Créteil n’a-t-il pas pour effet de masquer une somme indénombrable de faits a priori moins graves ou relevant de simples entorses à la règle du vivre ensemble ? Dans l’analyse, il est essentiel ne pas en rester à l’exceptionnel et de revenir au plus « banal ».
Premier point à souligner, un professeur est nécessairement conduit à composer tout au long de l’année scolaire avec des attitudes, des postures ou des paroles foncièrement répréhensibles. S’il devait dénoncer tous les petits faits aussi vrais que dérangeants qui empoisonnent certaines « vies de classe », il passerait son temps à rédiger des rapports. D’où un premier réflexe somme toute assez naturel qui consiste à garder pour soi ce qui ne semble relever que de menues transgressions eu égard à une forme de loi d’accoutumance tacitement partagée par la majorité silencieuse.
Corrélativement, il est commun de s’entendre dire, en salle des professeurs tout particulièrement, et alors même qu’on est en situation de déplorer des situations de classe problématiques, des petites phrases peu amènes telles que « ce n’est pas grave », « ça va s’arranger », voire, de façon encore moins compatissante, « c’est bizarre, parce qu’avec moi il se comporte bien ». Or c’est bien ici que le bât blesse dans le fonctionnement de la communauté éducative : l’attention portée à des incidents du quotidien apparaît le plus souvent résiduelle, les réactions outrées ne semblant réservées qu’aux situations exceptionnelles et spectaculaires.
En clair, il existe un premier niveau de silence tacite qui correspond à une forme de culpabilisation du dire « ce qui fâche ». Ce qui évidemment vient non pas discréditer le mouvement de dénonciation de fond qui est en train de se développer sur la toile, mais remettre en perspective les pesanteurs comportementales du quotidien.

Rétablir une culture du « dire »

En tant que formateurs ÉSPÉ, nous avons nécessairement à prendre part au débat. Ne sommes-nous pas en effet les premiers à apprendre aux professeurs stagiaires à « prendre du recul » sur les évènements, à « ne pas réagir trop à chaud », à faire la distinction entre « la crudité du langage » et « les vrais sentiments de l’élève » ? L’idée étant de développer dans le cadre de la formation initiale une posture professionnelle adaptée aux circonstances. Mais ce faisant, ne laissons-nous pas penser au débutant que « ne pas dire » demeure le meilleur moyen de ne pas se mettre en difficulté et d’éviter tout conflit avec sa hiérarchie ?
Si le manque d’heures d’enseignement peut effectivement induire de mauvais réflexes dans la gestion de la classe, voire générer par maladresse un certain nombre de conflits, il n’en reste pas moins que certaines situations vécues par les néo-profs ne seraient pas plus gérables par un professeur plus expérimenté. Dans le cadre d’une formation proche de la réalité du terrain, il faut donc rappeler l’importance de deux maîtres-mots : alerte et concertation.
D’où la nécessité d’insister auprès des stagiaires sur les rôles respectifs du conseiller principal d’éducation et du professeur principal, interlocuteurs d’autant plus déterminants qu’ils sont susceptibles de réunir l’ensemble des professeurs dans une situation de crise. Il n’est en effet pas tenable qu’un professeur stagiaire (ou non d’ailleurs) n’ait d’autre recours que ravaler son indignation, sa colère, voire sa souffrance en offrant aux autres un visage de composition.
Les établissements qui fonctionnent le mieux sont des espaces professionnels où chacun est solidaire de l’autre et où le problème d’un individu est aussi indirectement le problème des autres.

Ce que dit implicitement le hashtag…

#PasDeVague doit ainsi être compris à la fois comme une interpellation explicite des voies hiérarchiques promptes à la mise en sourdine des faits qui dérangent l’épanouissement d’une « école de la confiance » mais aussi comme une piqûre de rappel implicite contre les petites indifférences du quotidien. Ce mouvement de fond a donc du sens et vient à point nommé.
L’école de demain ne pourra et devra plus être celle du professeur seul dans sa classe. Tous les témoignages mis à jour par le hashtag doivent inciter chacun à repenser l’individualisme tacite du métier de professeur. Un professeur en colère, un professeur indigné n’a rien d’un râleur professionnel : il exprime le plus souvent une réalité estimée par lui inacceptable et justifiant d’être entendue. Il serait ainsi regrettable que le mouvement actuel en reste simplement à une fonction cathartique.
L’enjeu fondamental de l’étape suivante ne consistera-t-il pas à redéfinir la notion de communauté éducative et, ce faisant, à reconstruire l’idée d’une solidarité professionnelle où la difficulté rencontrée face à un élève n’est pas spontanément stigmatisée mais réellement prise au sérieux ?

Antony Soron, ÉSPÉ Paris Sorbonne Université

Antony Soron
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