Quels textes pour l’hommage à Samuel Paty ?

Quels hommages à Samuel Paty rendre en cours le 14 ou le 17 octobre 2022 ? Le ministère propose plusieurs textes et documents, dont un poème de Victor Hugo, « Écrit après la visite d’un bagne », qui se prête à la lecture à voix haute et à une réflexion collective.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR,
formateur agrégé de lettres, Inspé Sorbonne Unive
rsité.

Quels hommages à Samuel Paty rendre en cours le 14 ou le 17 octobre 2022 ? Le ministère propose plusieurs textes et documents, dont un poème de Victor Hugo, « Écrit après la visite d’un bagne », qui se prête à la lecture à voix haute et à une réflexion collective.

Par Antony Soron, maître de conférences HDR,
formateur agrégé de lettres, Inspé Sorbonne Unive
rsité.

Le 16 octobre 2020, Samuel Paty, quarante-sept ans, professeur d’histoire-géographie et d’éducation morale et civique, était décapité par un fanatique islamiste dans la rue, non loin de son collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Il lui avait été reproché par des parents d’avoir montré à ses élèves des caricatures du prophète Mahomet. Fausses informations, fausses rumeurs et incitations à la haine ont flambé sur les réseaux sociaux jusqu’à ce terrible assassinat.

La mémoire, la réflexion, mais pas la polémique

Depuis ce drame qui a bouleversé toute la communauté éducative, le site officiel Éduscol1 propose aux enseignants, en fonction du ou des niveau(x) dont ils ont la responsabilité, différentes formes d’hommage possibles au professeur assassiné : minute de silence, échange ou séquence pédagogique. « Le contenu sera laissé au choix des équipes en fonction de leur situation respective », précise le site du ministère. L’objectif reste, en sollicitant la réflexion des élèves, de faire appel à leur esprit critique, tout en les sensibilisant au rôle et à la légitimité du métier de professeur dans le cursus d’un futur citoyen de la République française.

Compte-tenu de la perméabilité des jeunes consciences aux fausses informations, la prescription ministérielle se permet d’ajouter que le temps dédié à cet hommage peut permettre d’insister sur « l’importance de la démarche scientifique fondée sur les faits et leur observation ». Est mise en avant la notion de « confrontation » indispensable pour qui souhaite « se forger un avis sur les sujets les plus sensibles ».

À partir de cet objectif général, les enseignants ont une grande marge de manœuvre. Cela étant, il conviendra assurément en début de séance de revenir aux faits, car, en deux ans, et malgré l’onde de choc qu’a pu représenter la décapitation d’un professeur au sortir de son lieu de travail, beaucoup d’éléments auront été oubliés sur les circonstances de son assassinat.

L’implication du professeur

Avant d’en venir aux propositions pédagogiques du site Éduscol et des ressources qu’il met à disposition, on insistera d’abord sur le cadre de ce temps d’hommage. Il s’agit, en effet, d’une prescription du ministère de l’Éducation nationale. On rappellera à ce titre que le premier déplacement de Pap Ndiaye en tant que ministre, le 23 mai 2022, a été effectué dans le collège où exerçait Samuel Paty. Un extrait de son discours pourra d’ailleurs être rapporté aux élèves, dans la mesure où il atteste du choc causé par sa mort :

« La mémoire de Samuel Paty est restée dans mon cœur, c’est une continuité qui s’est manifestée cet après-midi, il est normal et naturel que je me rende ici. »

On gagnera par ailleurs à faire part de sa propre émotion et préoccupation vis-à-vis de ce qui s’est passé il y a tout juste deux ans. En effet, le temps d’hommage aura d’autant plus de sens pour les élèves que le professeur accepte d’incarner ce collègue tué pour le contenu de son enseignement. Ce qui ne peut qu’interroger chacun sur les enjeux et les risques de son métier.

Faire réfléchir sur l’importance des professeurs

Trois axes s’offrent : faire lire, faire dire et faire écrire les élèves. Par expérience, nous suggérerons de ne pas en rester à un dispositif de débat régulé. Afin d’alimenter la réflexion, il est important que le silence se fasse à certains moments et que chaque élève se retrouve seul face à sa conscientisation de la tragédie. Une fois l’évènement recontextualisé, il conviendra d’engager une activité en relation avec un support iconographique ou textuel.

II reste conseillé de lire un texte à toute la classe ou de le faire lire aux élèves de façon autonome. Quel texte et pour quel objectif ? Le site Éduscol propose seize documents en fonction des niveaux de classe : poésies, discours, littérature, textes de réflexion et documents iconographiques. Chaque texte est accompagné d’une fiche de présentation et d’une mise en œuvre pédagogique.

Parmi ces textes figure le poème de Victor Hugo, « Écrit après la visite d’un bagne » (1853) :

« Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne.
Quatre-vingt-dix voleurs sur cent qui sont au bagne
Ne sont jamais allés à l’école une fois,
Et ne savent pas lire, et signent d’une croix.
C’est dans cette ombre-là qu’ils ont trouvé le crime.
L’ignorance est la nuit qui commence l’abîme.
Où rampe la raison, l’honnêteté périt.

Dieu, le premier auteur de tout ce qu’on écrit,
A mis, sur cette terre où les hommes sont ivres,
Les ailes des esprits dans les pages des livres.
Tout homme ouvrant un livre y trouve une aile, et peut
Planer là-haut où l’âme en liberté se meut.
L’école est sanctuaire autant que la chapelle.
L’alphabet que l’enfant avec son doigt épelle
Contient sous chaque lettre une vertu ; le cœur
S’éclaire doucement à cette humble lueur.
Donc au petit enfant donnez le petit livre.
Marchez, la lampe en main, pour qu’il puisse vous suivre.

La nuit produit l’erreur et l’erreur l’attentat.
Faute d’enseignement, on jette dans l’état
Des hommes animaux, têtes inachevées,
Tristes instincts qui vont les prunelles crevées,
Aveugles effrayants, au regard sépulcral,
Qui marchent à tâtons dans le monde moral.
Allumons les esprits, c’est notre loi première,
Et du suif le plus vil faisons une lumière.
L’intelligence veut être ouverte ici-bas ;
Le germe a droit d’éclore ; et qui ne pense pas
Ne vit pas. Ces voleurs avaient le droit de vivre.
Songeons-y bien, l’école en or change le cuivre,
Tandis que l’ignorance en plomb transforme l’or.

Je dis que ces voleurs possédaient un trésor,
Leur pensée immortelle, auguste et nécessaire ;
Je dis qu’ils ont le droit, du fond de leur misère,
De se tourner vers vous, à qui le jour sourit,
Et de vous demander compte de leur esprit ;
Je dis qu’ils étaient l’homme et qu’on en fit la brute ;
Je dis que je nous blâme et que je plains leur chute ;
Je dis que ce sont eux qui sont les dépouillés ;
Je dis que les forfaits dont ils se sont souillés
Ont pour point de départ ce qui n’est pas leur faute ;
Pouvaient-ils s’éclairer du flambeau qu’on leur ôte ?
Ils sont les malheureux et non les ennemis.
Le premier crime fut sur eux-mêmes commis ;
On a de la pensée éteint en eux la flamme :
Et la société leur a volé leur âme. »

Les grands principes défendus par ce texte de Victor Hugo

Le texte étant relativement long et non dénué de difficultés lexicales, mieux vaut le lire à haute voix. Voire, en fonction du niveau de la classe ou du niveau de compréhension des élèves, de procéder à une prélecture en présentant le sujet du poème sous la forme d’un résumé :

« Victor Hugo est allé dans un bagne, il a observé les prisonniers et leur état. En fonction de ce qu’il a retenu de cette expérience, il cherche à montrer dans son poème que l’ignorance reste la cause dominante des mauvais comportements de l’être humain ; ce qui revient à dire que l’ignorance reste pour lui un facteur premier de la barbarie à visage humain. »

En fonction du temps que l’on souhaite consacrer à l’activité, on pourra mettre en relation le texte lu avec les grands enjeux du métier de professeur synthétisés par Éduscol(notamment les quatre suivants affichables au tableau) :

« • Un professeur n’est pas là pour lui, mais pour les autres.
• Un professeur n’est pas là pour endoctriner mais pour instruire et former.
• Un professeur contribue à l’émancipation de ses élèves pour en faire des individus libres, égaux et fraternels.
• Un professeur ne délivre pas une « doxa », mais fait réfléchir sur la base d’une analyse et d’une transmission des faits. »

Une démarche d’actualisation et de mise en voix

Une fois le texte lu à haute voix, on demandera aux élèves d’identifier à qui ils ont pensé pendant la lecture : au professeur assassiné, à ses élèves, à l’assassin de Samuel Paty ? La poésie hugolienne est d’une expressivité exemplaire. Or, on voit bien ici que le texte se structure autour d’une antithèse : d’un côté « l’école » et le « livre », qui apportent la connaissance, et de l’autre l’ignorance qui conduit à la barbarie. Il est d’ailleurs probable que l’emploi du mot « attentat » par Hugo aura interpellé les élèves dans le vers suivant : « La nuit produit l’erreur et l’erreur l’attentat ».

La puissance évocatrice de ce texte favorise le désir d’une mise en voix. D’où la proposition qui pourra être faite aux élèves de trouver une manière singulière de dire ce texte (en le slamant2, en le prononçant comme un discours ou en le chantant accompagnée d’une musique3 de son choix). Si cette option est retenue, on pourra aller jusqu’à demander aux élèves, idéalement par groupes, de concevoir par la suite une capsule audio-video mêlant images et voix.

Prix Samuel Paty

Depuis deux ans maintenant, l’Association des professeurs d’histoire géographie organise un prix Samuel Paty. En 2021, le thème était : « Sommes-nous toujours libres de nous exprimer ? » Ce prix sera remis samedi 15 octobre en présence du ministre Pap Ndiaye. Pour la prochaine édition 2022-2023, le thème retenu est : « Les infox, quels dangers pour la démocratie ? ». Clôture des inscriptions le 15 octobre.

A. S.

Ressources

1 – https://eduscol.education.fr/2395/hommage-au-professeur-samuel-paty

2 – https://www.youtube.com/watch?v=lpJZv09gOUM

3 – https://www.youtube.com/watch?v=VO8ezwbBGhc

À lire sur L’École des lettres :

Et aussi :

« L’école et le savoir, des remparts contre l’obscurantisme et l’intégrisme », Leïla Marouf Arras, dans Parce que chaque élève compte. Enseigner en quartiers populaires, sous la direction de Mohand-Kamel Chabane et Benoit Falaize, éditions de l’Atelier/L’École des lettres, 204 p., 16 euros.

L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Antony Soron
Antony Soron