Comment repenser la formation des enseignants après le confinement ?

La formation des enseignants est promise à une réforme, prête à être engagée, visant, du point de vue du ministère de tutelle, à la rendre plus immédiatement opérationnelle en accroissant la part de l’intervention des acteurs de terrain par rapport aux formateurs « hors sol ». Or, bien évidemment, cette réforme a été pensée avant la période inédite que nous venons de vivre et n’intégrant pas, de fait, tous les bouleversements du savoir enseigner que le confinement a induits.

La fin de l’omnipotence du « présentiel »

Jusqu’il y a encore quelques semaines, l’objectif quasi exclusif de la formation des enseignants consistait à leur donner des outils de réflexion et de mise en œuvre des pratiques de classe. Son postulat reposait sur l’évidence d’une situation de confrontation réelle entre un enseignant et ses élèves. La parenthèse inédite vécue de mars à juin nécessite d’être analysée afin de ne pas demeurer dans une forme d’impensé des dispositifs de formation.
En effet, pendant de longues semaines, les enseignants stagiaires du premier et du second degré ont dû faire face à une façon de faire que beaucoup, a fortiori les moins expérimentés, n’avaient pas envisagé une seule seconde. Par conséquent, une des premières morales du confinement en matière de formation exigerait un traitement complet des diverses modalités d’enseignement – y compris dans des contextes exceptionnels comme celui qui vient d’être éprouvé – en s’ouvrant spécifiquement aux techniques d’apprentissages à distance.
Ce qui suppose naturellement que les instituts de formation demeurent des lieux d’expertise et de questionnement et pas seulement des espaces de transmission de modules « clef en main ».

Le retour en force de l’enseignant organisateur

De façon coutumière, et en employant un vocabulaire informel, on a coutume de distinguer les enseignants animateurs et les enseignants organisateurs : les premiers travaillent pour une bonne part à l’improvisation et accordent une place prééminente aux interactions entre eux et la classe. La fiction documentaire cinématographique en a donné un exemple saisissant dans Entre les murs de Laurent Cantet (2008). Ce type de pédagogue qui peut bénéficier d’une cote de popularité importante dans des situations de classe classiques peut apparaître moins efficace en distanciel. À l’inverse, les enseignants du type organisateur, structurant leur travail selon une progression pédagogique rigoureuse et s’appuyant sur des sources bien établies se révèlent d’autant plus productifs quand l’enseignement est restreint au virtuel.
Ce constat rapidement brossé doit inévitablement faire réfléchir les enseignants eux-mêmes mais aussi les formateurs et naturellement le ministère de l’Éducation nationale. En effet, plus que jamais, la didactisation des savoirs conjointe à une forme de pragmatisme pédagogique apparaît nettement remise au premier plan. Il n’est pas étonnant, d’ailleurs, que la plupart des enseignants interrogés concluent sur le fait que non seulement le distanciel se révèle plus chronophage que le présentiel, mais aussi qu’il soulève un nombre accru d’interrogations sur leurs pratiques.
Il y a donc bien de ce point de vue aussi une attente de formation initiale et continue sur cette autre façon d’enseigner qui, à son corps défendant, multiplie sinon les impasses du moins les contraintes techniques, pédagogiques.

La classe virtuelle, ça s’apprend !

Les professeurs stagiaires de lettres, qui ont servi de « cobayes » à notre questionnement sur les difficultés de cet enseignement en situation inédite, ont tous fait état de l’expérience singulière de leur première classe virtuelle. Ruptures de connexion, arrivée tardive d’un élève, micro récalcitrant, les problèmes techniques ont été effectivement nombreux. Toutefois, ce n’est pas cet aspect qui a retenu prioritairement leur attention.
En premier lieu, le fait de ne pas visualiser les élèves – la désactivation de la caméra étant nécessaire pour éviter la saturation des bandes passantes – leur a souvent donné l’impression de faire la classe à l’aveugle. En outre, la classe virtuelle s’est révélée d’une redoutable complexité du fait de la double possibilité d’énonciation, orale et écrite par le biais des « conversations » ou « tchat ». Plusieurs professeurs interrogés ont même fait état dans une forme de bilan d’expériences d’une difficulté majeure, à savoir l’optimisation des compétences engagées par la classe virtuelle qui requiert entre autres l’économie de paroles, la surexplicitation du discours, l’orientation de l’apprentissage et l’indispensable maîtrise technique.
Par là même, de façon quasi unanime, les enseignants questionnés ont établi que la classe virtuelle tend à intensifier les problématiques pédagogiques classiques et qu’en dépit de l’expérience acquise sur le tas, il leur faudra y revenir dans des cadres de formation pour envisager des éléments de perfectibilité.

Classe inversée vs devoirs à la maison

En outre, la continuité pédagogique a donné lieu à des situations de surcharge de travail des élèves liées au fait qu’au début au moins de la phase de confinement, les professeurs ne s’étaient pas concertés sur les quantités d’activités à proposer aux élèves sur une journée ou une semaine. Les classes virtuelles n’étant pas multipliables à l’envi, le modèle de la classe inversée, pleinement conceptualisé ou non, a alors retrouvé sa pleine vigueur.
À ce niveau, le problème consistant à savoir quelle quantité d’informations donner, quel délai pour les assimiler et quelles interactions le cas échéant avec les classes virtuelles mises en œuvre s’est révélé particulièrement épineux. Et ce d’autant plus que le distanciel invite pour le meilleur (les concernés) et pour le pire (les envahissants) à un nouveau rapport avec les parents, pour une bonne part déstabilisés par une nouvelle configuration scolaire. Or, ces éléments, communication avec les parents – quand elle est possible bien évidemment – et réalité du travail hors temps scolaire, constituent des angles morts du cœur de la formation en œuvre à l’heure actuelle.
Il s’agit très certainement d’objets sur lesquels cette dernière devra renforcer son attention à partir d’une expertise rigoureuse des pratiques recensées, notamment au cours de la période de confinement.

La classe virtuelle comme modalité de formation ?

Il paraît clair que l’on n’en aura pas totalement fini avec l’épidémie au mois de septembre, voire au cours de l’automne… ni après. Ainsi, alors qu’il était acceptable que le monde scolaire ne soit pas pleinement préparé à une situation aussi inédite, il serait moins excusable de ne pas l’avoir anticipée pour les mois voire les années à venir. C’est bien en ce sens que les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation doivent préserver une spécificité en continuant à déployer leur raison d’être, à savoir interroger une éducation qui bouge, et ce bien entendu sans renoncement au pragmatisme, à partir de questions aussi denses que :
« Comment corréler dans une même semaine, voire dans une même journée, un enseignement réel et virtuel ? »
En tout état de cause, la période de confinement a démontré combien il était problématique de rester rivé à des certitudes et combien le métier d’enseignant, dans le premier comme le second degré, impliquait une remise en question permanente. D’où, à titre de piste à suivre, la proposition d’une généralisation de modules de formation où les jeunes professeurs expérimentent virtuellement le distanciel : un professeur proposant une classe virtuelle à ses pairs faisant fonction d’élèves.
Cette simple réactivation de pratiques de formation déjà expérimentées tend à démontrer que la réalité du terrain et des contextes d’enseignement ne sont pas des corps étrangers aux INSPÉ mais bien des objets constamment interrogeables et interrogés afin d’offrir aux professeurs de demain non pas des solutions toutes faites mais des embrayeurs de résolution pédagogique personnalisables.

Antony Soron, INSPÉ Sorbonne Université

Voir sur ce site :
Éducation : retour au monde d’avant ? par Alexandre Lafon.
Vers un aggiornamento scolaire ? par Alexandre Lafon.
11 mai 2020 ? C’est dès maintenant que la classe est à réinventer ! par Gabriel Berrier.
Opération « École apprenante » ? À voir…, par Pascal Caglar.

Antony Soron
Antony Soron

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *