"Un vent de liberté", de Behnam Behzadi
Un épais nuage grisâtre plane en permanence sur Téhéran, et c’est toute la vie de Niloofar qui se trouve polluée…
La jeune femme, gérante de l’atelier familial de confection, vit seule avec sa mère. Laquelle, fragilisée par l’air malsain de la métropole iranienne, est hospitalisée d’urgence pour insuffisance respiratoire.
Afin de préserver la santé de leur génitrice, le frère et la sœur de Niloofar décident unilatéralement d’envoyer les deux femmes vivre dans la maison de famille à la campagne. Contrariée dans ses projets, Niloofar entend bien résister…
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Présence des femmes
Il est loin le temps où les enfants étaient les seuls dépositaires des situations de crise des films iraniens. Loin, et proche à la fois. Souvenons-nous. 1979 : l’ayatollah Khomeiny s’empare du pouvoir, la République islamique est instituée, le cinéma « blasphématoire » doit s’accorder aux principes du fiqh (loi islamique). Des garçonnets (Où est la maison de mon ami ?, Abbas Kiarostami, 1987) et des fillettes (Le Ballon blanc, Jafar Panahi, 1995 ; La Pomme, Samira Makhmalbaf, 1998) deviennent les personnages-clés d’une cinématographie qui cherche à se réinventer dans l’espoir d’échapper à l’ire des censeurs religieux.
Le cinéaste Jafar Panahi, interdit depuis 2010 d’exercer son métier dans son propre pays, est le premier à transgresser ouvertement la licence autorisée avec Le Cercle en 2000, film magistral mettant en scène un groupe de femmes (ex-détenues, et prostituées comprises) que le destin enchaîne et relègue à l’ombre du hijab.
Depuis, et en dépit d’un contrôle toujours sévère des images, la situation a quelque peu évolué. Des réalisatrices sont apparues : Samira et Hana Makhmalbaf, Rakhshan Bani-Etemad, Tamineh Milani, Niki Karimi, Mania Akbari, Marzieh Meshkini, etc. Les personnages féminins, davantage visibles dans l’espace de jeu, ne sont plus seulement des créatures à plaindre ou soumises à leurs devoirs familiaux, mais des figures capables d’exister par et pour elles-mêmes, aptes à mettre en avant leurs attentes et à entrer en résistance avec la société des hommes.
Ce fut entre autres le cas de Simin (La Séparation, Asghar Farhadi, 2011), de Noura (Au revoir, Mohammad Rasoulof, id.) et de Nahid (Nahid, Ida Panahandeh, 2016). C’est aujourd’hui celui de Niloofar, l’héroïne « rebelle » d’Un vent de liberté.
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Dilemme amoureux
Comme beaucoup de Téhéranaises modernes, Niloofar est une femme diplômée, active, insérée, et indépendante même. En tout cas, le croit-elle. Hormis ses responsabilités professionnelles, sa principale contrainte dans l’existence consiste à s’assurer du bien-être de sa vieille mère. Or, quand celle-ci tombe malade, c’est aussi son tranquille équilibre de vie qui s’effondre. Benjamine de sa fratrie, elle voit les siens propres disposer d’elle comme d’un objet meuble, au motif péremptoire qu’elle est (à trente-cinq ans !) sans époux ni enfant. Sans attaches, donc. Inutile, et facile à déplacer.
D’abord présenté comme la promesse d’une saine retraite de la cité viciée, son déménagement lui est imposé sans ménagement par son frère et sa sœur, tous deux ligués. Démise de ses fonctions de l’entreprise familiale, elle est alors soumise à un odieux chantage concernant la santé précaire de sa mère (rester à Téhéran la condamnerait rapidement). Un chantage, mais aussi un dilemme quand, après avoir noué une discrète et chaste idylle avec un ami retrouvé, Niloofar fonde de nouveaux espoirs de vie sentimentale.
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Morale sauve
Bâti sur un conflit somme toute banal (et une mise en scène plutôt conventionnelle), le troisième long-métrage de fiction de Behnam Behzadi fait souffler un petit vent de révolte dans l’univers confiné de la famille iranienne (qui, urbaine ou non, aisée, cultivée ou populaire, demeure très conservatrice). Il offre notamment à son beau personnage de femme de s’opposer au pouvoir masculin et à la tyrannie du droit d’aînesse. Il en fait même une femme fière et libre quand, s’estimant trompée par son prétendant (divorcé, celui-ci lui a caché sa paternité), elle choisit de rompre avec lui – insistons, vivre seule pour une femme en Iran ne va pas de soi…
Avec courage, Niloofar se bat pour elle-même, pour voir sa condition de fille, de sœur – et de femme – reconnue ; elle se bat pour toutes les générations de femmes, présentes et à venir, pour sa jeune nièce qui seule la soutient.
On regrettera cependant qu’une morale « rectificative » vienne sanctionner le parcours de l’héroïne. Après qu’un « vent de liberté » a soufflé dans les bronches de sa famille, Niloofar voit le sort auquel elle était promise depuis le début la rattraper. Il faudra donc plus qu’un simple coup de vent sur les chemins iraniens de l’émancipation féminine pour « dépolluer » les esprits de leur pensée rétrograde.
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Femme(s) en résistance
Mais, qu’importe la fin. Le combat de Niloofar est exemplaire, et d’autant plus méritoire qu’il est mené au sein même de sa maison, là où les règles (patriarcales, morales, religieuses) sont les plus oppressives. Elle rejoint là le bataillon grossissant des femmes en lutte, toutes figures admirables d’audace et d’abnégation qui peuplent depuis quelques temps nos écrans d’une présence qu’il faudra bientôt questionner.
L’hiver dernier nous a ainsi offert de suivre le parcours édifiant de Sonita, la jeune Afghane éponyme du documentaire de Rokhsareh Ghaem Maghami (Sonita, 2016). Ce printemps, l’artiste-peintre allemande Paula Modersohn-Becker devenait un modèle de courage (à imiter) dans la « biographie filmée » qui lui était consacrée (Paula, Christian Schwochow) ; trois scientifiques afro-américaines des années 1960 voyaient leur lutte pour l’égalité saluée et mise en lumière dans Les Figures de l’ombre (Theodore Melfi). Et cet été, la Chinoise Li Xuelian porte haut l’étendard de la cause féministe dans I am not Madame Bovary (Feng Xiaogang) ; la jeune Patti cherche à s’imposer et à poser sa voix dans le monde phallocratique du rap états-unien (Patticakes, Geremy Jasper, sortie prévue le 30 août), etc. Même les superhéros estivaux, sous la houlette de Wonder Woman (Patty Jenkins), se déclinent au féminin cette année.
Philippe Leclercq
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• Voir sur ce site : “I am not Madame Bovary”, de Feng Xiaogang, par Philippe Leclercq.