L’entrée au Panthéon
de Missak Manouchian inaugure
les commémorations de la fin
de la Seconde Guerre mondiale

Premier étranger à entrer au Panthéon, poète d'origine arménienne et figure majeure de la Résistance fusillée au Mont-Valérien, Missak Manouchian symbolise avec son épouse Mélinée la défense de l’universalisme des valeurs de la République. Pour le président Emmanuel Macron, sa grandeur peut servir à retrouver de la cohésion nationale.
Par Alexandre Lafon, historien et professeur d'histoire (académie de Toulouse)

Premier étranger à entrer au Panthéon, poète d’origine arménienne et figure majeure de la Résistance fusillée au Mont-Valérien, Missak Manouchian symbolise avec son épouse Mélinée la défense de l’universalisme des valeurs de la République. Pour le président Emmanuel Macron, sa grandeur peut servir à retrouver de la cohésion nationale.

Par Alexandre Lafon, historien et professeur d’histoire (académie de Toulouse)

Outre l’accueil des Jeux Olympiques d’été, 2024 est le théâtre du 80e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, « des débarquements, de la Libération de la France et de la victoire ». Le cycle commémoratif qui va durer jusqu’en juin 2025 est marqué dès ce 21 février par la panthéonisation de Missak (Michel lorsque le prénom est francisé) Manouchian, résistant étranger fusillé au Mont-Valérien le 21 février 1944, et de son épouse Mélinée (1).

La France s’empare de cette mémoire et de la victoire alors que la guerre est réapparue sur le continent européen depuis deux ans déjà avec l’agression armée de la Russie contre l’Ukraine. À l’heure où des tensions clivantes traversent le pays, des émeutes urbaines de 2023 à la loi Immigration, ces commémorations prennent un sens particulier. Le président de la République, garant de la politique mémorielle de l’État, l’a souligné lors de ses vœux aux Français le 31 décembre dernier : « Nous serons fiers de notre passé, de nos héros aux destins mêlés. Soldats des armées alliées, mais aussi Français de naissance ou de préférence, Français et étrangers de la Résistance. »

Comment « en même temps » célébrer la multitude des acteurs, français et étrangers comme Manouchian qui ont participé à la victoire de 1945 dans un pays aussi crispé sur les enjeux d’identité nationale ? Comment donner un sens lisible à ces commémorations ?

Qui est Missak Manouchian ?

Missak Manouchian nait arménien dans un village turc de l’Empire Ottoman le 1er septembre 1906. Alors que ses parents sont victimes du génocide de 1915 perpétré par les autorités ottomanes, il est recueilli par une famille kurde, puis élevé avec son frère dans un orphelinat chrétien au Liban, sous protectorat français après la Première Guerre mondiale. Il rejoint Marseille en 1924 et intègre les chantiers navals de la Seyne-sur-mer comme ouvrier-menuisier. Grâce aux universités fondées par la CGT, il s’engage dans le mouvement ouvrier. Embauché comme ouvrier tourneur aux usines Citroën du quai de Javel à Paris, il fonde deux revues littéraires successives, Tchank (« L’Effort ») et Machagouyt (« Culture »).

Il écrit alors dans son carnet : « J’ai un désir infini d’entrer dans les rangs du Parti communiste et de me consacrer à la lutte sociale ». À partir de 1934, il adhère en effet au Parti communiste français. Écrivain et poète, il devient membre de l’Associations des écrivains communistes comme Henri Barbusse ou Romain Rolland. Il rejoint le groupe arménien de la MOI (main-d’œuvre immigré) du PCF et gravit rapidement les échelons. À la fin des années 1930, il s’applique à rassembler la diaspora arménienne de France à travers l’Union populaire arménienne (proche du Front populaire).

À la déclaration de guerre de septembre 1939, Missak Manouchian est interné comme communiste étranger dans un camp, puis incorporé à l’armée française. Rentré à Paris en 1940, il poursuit son activité militante. Arrêté en juin 1941 lors d’une grande rafle préventive ordonnée par les Allemands à la veille de l’invasion allemande de l’URSS, il séjourne quelques semaines au camp de Royallieu près de Compiègne d’où il est libéré. Manouchian entre alors en résistance au sein de la MOI, puis des Francs-Tireurs Partisans, combattants, de la Main-d’œuvre Immigrée (FTP-MOI) dont il devient le chef armé en 1943.

Composé de Polonais, Hongrois, Arméniens et Italiens, la plupart de confession juive, le groupe Manouchian opère dans Paris de juillet à octobre 1943, mettant en œuvre des dizaines d’opérations qui visent notamment le Service du travail obligatoire (STO). Le 28 septembre, le groupe abat en pleine rue Julieus Ritter, le délégué pour la France de Fritz Sauckel, nommé par Hitler « plénipotentiaire au recrutement et à l’emploi de la main-d’œuvre ».

La police parisienne traque les FTP et arrête Manouchian le 16 novembre 1943. « Ils sont 68 à être arrêtés en quelques jours. Mélinée, la femme de Missak Manouchian, elle aussi résistante, échappe aux arrestations en se cachant chez des amis, les Aznavourian (les parents de Charles Aznavour), eux-mêmes résistants. », souligne l’historien Denis Peschanski.

Les vingt-trois hommes et femmes identifiés comme francs-tireurs sont jugés et condamnés à mort. Le procès et la condamnation sont largement mise en scène par la propagande allemande, présentant les résistants comme des terroristes. L’affiche dite rouge appartient à cette mise en scène : dix des prisonniers sont présentés comme une vermine étrangère, forcément assassins et meurtriers. L’affiche est placardée à Paris et dans plusieurs grandes villes. Il s’agit de faire peur à la population.

Le 18 février, les vingt-trois membres des FTP-MOI sont condamnés à mort. Les vingt-deux hommes sont fusillés le 21 février dans la clairière du Mont-Valérien, tandis que Golda Bancic est envoyée à la prison de Stuttgart, où elle est guillotinée le 10 mai.

Dans les années 1950, la mémoire communiste de la guerre est célébrée en France. Le poète Aragon rappelle le destin tragique de ceux de l’Affiche rouge, et Léo Ferré leur dédie une chanson bouleversante en 1961.

Figure majeure de la résistance étrangère, poète, associé au Mont Valérien, haut-lieu de mémoire dramatique de la Seconde Guerre mondiale en France, Missak Manouchian symbolise la défense de l’universalisme des valeurs de la République. Pour Emmanuel Macron, Manouchian « port[ait] une part de notre grandeur ». Il est le premier étranger à entrer au Panthéon.

Plusieurs productions accompagnent la panthéonisation du héros arménien :

  • une grande exposition au Mémorial de la Shoah consacrée aux étrangers dans la Résistance (jusqu’en octobre 2024).
  • France 2 diffuse le mardi 20 février (et en replay) un film documentaire intitulé « Manouchian et ceux de l’Affiche rouge », réalisé par Hugues Nancy et l’historien Denis Peschanski, narré par le chanteur Arthur Teboul (Feu! Chatterton, auteur d’une reprise du poème écrit par Louis Aragon en 1955 et mis en musique par Léo Ferré). Entre émotion et histoire, ce documentaire sait livrer tout à la fois les grandes lignes historiques du destin de Manouchian, de son épouse et de ses compagnons, tout en faisant ressentir l’engagement de l’homme pour les valeurs humanistes ;
  • disponible sur la plateforme Arte.tv, un documentaire incontournable de 71 minutes intitulé « Des terroristes à la retraite » daté de 2014, revient sur le parcours d’étrangers résistants. Des témoignages poignants d’hommes et de femmes plusieurs dizaines d’années après les événements.
  • Une bande-dessinée de grande qualité : Missak Manouchian, une vie héroïque signée Didier Daeninckx (scénario), et Mako (dessin) est co-éditée par les Arènes et le ministère des Armée. Un dossier historique solide de l’historien Denis Peschanski complète le récit.

La mémoire, un instrument de gouvernement

La mémoire s’impose comme un instrument de gouvernement à usage multiple. « Commémorer [les] combattants d’hier dont l’engagement résonne toujours dans les batailles que nous menons aujourd’hui. », c’est ainsi que le chef de l’État évoque, le 6 juin 2023, le rôle des commémorations. Le passé doit affermir le vivre-ensemble actuel. Commémorer représente un geste puissant de cohésion nationale contre les violences sociales et les extrémismes politiques. Les commémorations ont pour vertu de « créer des solidarités sur les cendres des hostilités », comme le rappellent les sociologues de la mémoire. Elles ont également pour but de raffermir l’image de la France à l’étranger, « son rayonnement international » comme le rappelle un communiqué du ministère des Armées du 24 octobre 2023. La Normandie (débarquement du 6 juin 1944) et la Provence (débarquement français de l’été 1944) seront les lieux privilégiés des cérémonies nationales et internationales.

Comme souhaité par le président de la République, Emmanuel Macron, le 17 août dernier, lors du 79e anniversaire de la libération de la ville de Bormes-les-Mimosas, les commémorations du 80e anniversaire s’inscrivent sur un « point de bascule », moment « où le souvenir et la mémoire deviennent notre histoire. » Dans cette perspective et avec la disparition des derniers témoins directs, l’école est mobilisée comme un acteur majeur de transmission. Le lien entre les derniers témoins et la jeunesse sera au coeur des réflexions de l’ensemble du cycle commémoratif entre 2024 et 2025 autour des valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité.

Un Groupement d’intérêt public (GIP) intitulé « Mission du 80e anniversaire des débarquements, de la Libération de la France et de la Victoire », approuvé par arrêté le 8 septembre 2023, est chargé de mettre en musique les commémorations sur les deux années 2024 et 2025. Il travaille depuis l’automne 2023 à sensibiliser le grand public, à mettre en œuvre les cérémonies et à construire un programme complet associant le maximum des institutions et l’ensemble des Français. L’Éducation nationale est sollicitée comme membre fondateur pour s’emparer avec les élèves de tous les niveaux de ce temps fort d’histoire partagée.

Commémorer les débarquements

Le premier objectif de la mission Libération est de mettre en lumière les étapes qui ont conduit, de 1943 (libération de la Corse, de l’Outre-Mer) à la libération totale du territoire national (après le débarquement allié en Algérie) et à la victoire du 8 mai 1945. La libération constitue un temps long, d’abord marqué par deux débarquements en métropole, celui de Normandie le 6 juin 1944 puis celui de Provence le 17 août 1944, effectué par les troupes de la France libre, essentiellement des régiments coloniaux. Tous deux accélérèrent la libération de la France puis de l’Europe du nazisme. En parallèle, de nombreux épisodes souvent dramatiques ont touché une grande partie du pays au moment de cette lente libération : bombardements, exodes, exactions menées par l’armée allemande dans le Limousin en juin 1944 (comme le massacre d’Oradour-sur-Glane).

La flamme de la résistance

Le cycle commémoratif de deux années s’inscrit résolument dans une mémoire nationale très rapidement mise en récit après-guerre sous l’angle de l’héroïque résistance du peuple français, à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières. Elle s’articule autour de la geste des Français libres et de son chef, le général de Gaulle sur des champs de bataille en Afrique, en Europe (dans le ciel d’Angleterre) ou en France. Mais aussi des résistances intérieures, fédérées autour du Conseil national de la Résistance (CNR) organisé à partir de 1943 et de l’action du préfet résistant Jean Moulin sous les ordres de de Gaulle.

Les « maquis » du Vercors, du Limousin comme du Tarn ont été animés de cette « flamme de la résistance » évoquée dès le 18 juin 1940 par de Gaulle depuis Londres. Français, étrangers en France, communistes, militaires démobilisés ou patriotes de tous bords politiques ont pris les armes dès 1940 pour dire « non » à l’odieuse occupation et à la politique de collaboration mise en place par le gouvernement de Vichy.

Nombre des Français libres de l’intérieur ou à l’extérieur des frontières de l’hexagone étaient des coloniaux (conduite par exemple par le guyanais Félix Eboué, entré au Panthéon dès 1948), des étrangers naturalisés ou non, parfois apatrides, à l’image de Romain Gary, juif d’origine russe, aviateur de la France Libre ou de Missak Manouchian, chef des Francs-Tireurs-Partisans – Main d’œuvre Immigrée (FTP – MOI, communistes).

Tous rappellent cette idée fondamentale : « On peut mourir pour la France quand on n’est pas français (2) ». L’universalisme du pays des Droits de l’Homme a fédéré des énergies qui ont participé à la libération de notre pays du joug nazi entre 1940 et 1945, malgré les répressions, les internements, les déportations.

Chaque territoire, chaque commune de France, peut inscrire son histoire singulière, faite de combats (implication des groupes de résistance partout en France), de souffrances (les civils sous les bombes), d’engagement solidaire (aide aux familles juives traquées ou aux parachutistes alliés tombés) dans la grande histoire de la Libération. Celle de Paris (août 1944) et de Strasbourg apparaissent déjà comme deux temps fort du cycle commémoratif, le premier associé au retour de la République et de la capitale comme cœur de la France retrouvée, après privations et difficiles combats.

Transmission de la mémoire et valeurs de la République

Sans surprise, la politique mémorielle a pour but de clarifier les valeurs communes affirmées par ailleurs par la communauté nationale. Les jeunes générations se trouvent être les « cibles privilégiées » puisque transmission de la mémoire et des valeurs de la République sont en France intimement liées. Les commémorations ont pour vocation d’éduquer au souvenir et à la citoyenneté, l’épaisseur du traumatisme permettant de mettre à distance les clivages, les tensions, les possibles résurgences de la haine[1]. Depuis 2015, participer à une cérémonie commémorative est une étape importante du « parcours citoyen » des élèves, souhaitée par l’Education nationale. Les commémorations offrent un terrain utile, alliant histoire et enseignement moral et civique, parfois littérature : expérience des soldats coloniaux, entre idéal affiché et réalité vécu des traitements (l’excellent film Indigènes de Rachid Bouchareb, 2006), rôle des étrangers dans la résistance ou la France Libre pour transmettre les notions d’universalisme, de liberté, de droits. Le destin de Missak et Mélinée, largement mis en mots (lettres, poèmes de Missak ou d’Aragon, chansons) pourra se muer en objet d’étude extrêmement pertinent.

Une vitrine internationale

La politique nationale de mémoire a aussi pour vertu de promouvoir le souvenir de combats communs. Ainsi, durant le centenaire de la Première Guerre mondiale, nombre de manifestations se sont articulées autour d’une mémoire internationale commune, franco-allemande ou franco-américaine.

Un des objectifs de la Mission Libération est aussi de profiter des commémorations pour consolider le « rayonnement international de la France ». Là encore, la politique de mémoire vise à se muer en outil de soft power. Accueillir les mémoires d’autres nations, c’est montrer l’œuvre de ces dernières dans la guerre et affirmer la reconnaissance de la France aujourd’hui. Une cérémonie internationale se tiendra à Omaha Beach – Saint-Laurent-sur-Mer, dans le Calvados, le 6 juin 2024, dans une « logique d’équilibre des mémoires ».

Il s’agit de « construire collectivement » les séquences commémoratives du D-Day, dans une perspective locale (place de chaque région touchée directement par l’événement) mais également internationale (accueil des anciens pays alliés sur les sites de mémoire en Normandie). Là encore, l’importance des troupes alliées pour libérer la France mérite un éclairage particulier, qui dira aux élèves le sens d’une solidarité internationale fondée sur l’histoire, l’intérêt d’une construction internationale de la paix issue de la guerre à partir de 1945 (création des Nations Unis ou de la Communauté européenne). Enfant du génocide des Arméniens de 1915, Missak Manouchian construit un pont entre les deux conflits mondiaux, comme entre la France et la communauté arménienne, présente dans notre histoire contemporaine.

Une équipe opérationnelle et un conseil scientifique

La Mission Libération mise en place fin 2023 s’articule autour de deux structures : une équipe opérationnelle resserrée autour de conseillers chargés dans chaque domaine (éducation, territoires, culture, international) d’animer sur le terrain la dynamique commémorative et de mettre en œuvre les grandes cérémonies prévues ; et un conseil scientifique chargé d’orienter le récit commémoratif et de venir en soutien des acteurs pluriels des commémorations. L’ensemble a été placé sous la présidence de l’expérimenté ancien ambassadeur Philippe Étienne.

La coordination horizontale et verticale qui avait fait la force de la Mission Centenaire a été reprise : fonctionnement interministériel, travail de terrain à travers les liens tissés avec les collectivités territoriales ou les institutions culturelles et les associations. La logique de territorialisation prévaut, valorisant les histoires associées à la libération de chaque commune. Un label attribué par la Mission Libération permet de demander des subventions et d’être inscrit dans le programme officiel des manifestations. Plus de 1000 projets seraient aujourd’hui concernés sur l’ensemble du territoire.

Afin de soutenir l’action opérationnelle de la mission, un conseil scientifique a été mis en place, présidé par l’historien Denis Peschanski, grand spécialiste du conflit et notamment de la Résistance et de ses mémoires. Ce directeur émérite au CNRS est de celles et ceux qui ont milité pour la panthéonisation de Missak Manouchian. Le conseil scientifique regroupe derrière lui des historiennes et historiens français, chargés plus spécialement de nourrir le récit des commémorations et de valider les grands événements nationaux.

Avancées historiennes et lectures utiles

Les recherches historiques consacrées à la Seconde Guerre mondiale ont connu ces dernières années de réelles avancées. Il n’est pas question ici de proposer une bibliographie exhaustive mais de signaler aux lecteurs quelques pierres angulaires qui s’appuient sur l’ensemble des sciences humaines et sociales et des problématiques neuves :

  • Sur l’ensemble du conflit : l’historien Olivier Wieviorka livre dans L’histoire totale de la Seconde Guerre mondiale (Perrin, 2023) une synthèse incontournable dans laquelle il aborde le conflit à travers toutes ses dimensions : militaires, politiques ou sociales. L’ouvrage est une somme portée par une vie consacrée à l’étude du conflit.
  • Sur la résistance, Claire Andrieu propose dans Tombés du ciel. Le sot des pilotes abattus en Europe (1939-1945) publié chez Tallandier, une recherche renouvelée sur l’acte de résister à travers l’accueil des pilotes survivants au crash de leurs avions. En France, cette enquête d’histoire orale met en lumière l’investissement plus ou moins conscient des populations civiles dans la résistance à l’occupant par cette aide fournie aux « tombés du ciel ».
  • Sur la collaboration, le dernier ouvrage de Julian Jackson, biographe entre autres du Général de Gaulle, propose dans Le Procès Pétain (Seuil, 2024),en voyage parfois éprouvant mais indispensable dans l’univers de Vichy, de la Révolution nationale et de la collaboration.
  • Sur la déportation : Un album d’Auschwitz (Seuil, 2023) signés par les historiens français et allemands Tal Brutman Hördler et Christoph Kreuzmüller décortique avec précision les photographies réalisées par les SS, gardiens du plus camp de concentration et de mise à mort polonais. Il se lit à l’aulne du roman de Robert Merle, La mort est mon métier (Gallimard, 1952).

Ces lectures pourront être prolongées par l’étude d’autres thèmes : les débarquements (originale archéologie de l’événement (4)), la collaboration (travaux de l’historien Henry Rousso) ou la libération de la France. Du côté de la bande dessinée, on trouve des œuvres d’une grande portée pédagogique, notamment à destination des collégiens, comme Adieu Birkenau. Une survivante d’Auschwitz (Albin Michel, 2023) autour du témoignage d’une grande humanité de Ginette Kolinka (aujourd’hui âgée de 98 ans) et La Bibliothécaire d’Auschwitz de Salva Rubio et Loreto Aroca d’après l’œuvre de Antonio G. Iturbe (Rue de Sèvres, 2022), magnifique histoire sur le pouvoir d’évasion des livres, même où on ne l’attendrait plus.

Proposer des projets culturels et pédagogiques

La Mission Libération soutient les initiatives locales et pédagogiques à travers le processus de labellisation évoqué plus haut. Les projets soumis doivent mettre en valeur :

  • l’engagement de la jeunesse et l’action de la Résistance ;
  • la résilience des populations civiles ;
  • le retour de la souveraineté républicaine.

Les enseignants et équipes pédagogiques peuvent s’impliquer alors de différentes manières :

  • en se greffant à des projets portés par des collectivités locales, des institutions ou des associations qui déposeront un dossier de candidature en préfecture ;
  • en soumettant à l’équipe de la Mission Libération des projets pédagogiques pluridisciplinaires. Il s’agit de s’appuyer sur l’histoire nationale ou locale, des témoignages locaux ou plus larges (Manouchian et ses compagnons, d’autres étrangers comme des soldats coloniaux), de proposer des études d’archives en lien avec les dépôts municipaux ou départementaux, de travailler sur les valeurs portées par les commémorations (défense et engagement en faveur de la République, de la démocratie), d’étudier un événement à travers des ouvrages d’auteurs contemporains ou de témoins (livres jeunesse, roman, etc.). Sur la forme, les productions d’élèves seront valorisées : dessins, carnets d’étude, mini-sites numériques ou expositions physique ;
  • en participant à l’appel à témoignages lancé par la Mission Libération, des Français(e) peuvent raconter leur expérience de la libération sur le territoire français lorsqu’ils étaient enfants. C’est une occasion de construire des projets pédagogiques intergénérationnels, notamment dans les écoles primaires.

L’école a ainsi l’occasion de concentrer son action éducative sur de la valorisation de toutes les expériences qui disent la pluralité de celles et ceux qui ont lutté pour la France et son idéal universaliste de liberté : implication des étrangers, Juifs polonais ou républicains espagnols ; implication des troupes venues des colonies ou des troupes alliées ; destins généalogiques ou mémoriels au lendemain de la guerre sur l’ensemble du territoire national.

On peut souhaiter que cet utile dispositif institutionnel mobilise au-delà du cercle traditionnel attaché à l’histoire du conflit. Face au devoir de mémoire trop souvent encore injonctif, il pourrait entraîner le grand public comme l’école à regarder intégralement notre passé commun. Ces commémorations sauront bien mettre en valeur les mémoires plurielles de l’événement, et offrir un tutoriel public, avec suffisamment de distance critique pour « faire histoire » commune. Les commémorations pourraient ainsi être le vecteur d’un processus d’inclusion vertueux conforme au rôle de l’école.

A. L.

Contacts à la Mission Libération :

(1) Astrig Atamian, Claire Mouradian, Denis Peschanski, Manouchian, Paris, Textuel, 2023.

(2) Chronique du Monde titré « Missak Manouchian, une leçon d’« identité » », par Philippe Bernard, dimanche 11 – lundi 12 février 2024.

(3) Sarah Gensburger et Sandrine Lefranc, À quoi servent les politiques de mémoires ? Paris, Les Presses de Sciences Po, p. 37-42.

(4) Vincent Carpentier et Cyril Marcigny, Archéologie du débarquement et de la bataille de Normandie, éditions Ouest-France-Inrap, 2014.

L’École des lettres est une revue indépendante éditée par l’école des loisirs. Certains articles sont en accès libre, d’autres comme les séquences pédagogiques sont accessibles aux abonnés.

Alexandre Lafon
Alexandre Lafon