Réforme de l’épreuve de français : quel bilan cet été ?

Peut-on déjà dresser un bilan de la réforme du lycée initiée par Jean-Michel Blanquer, trois ans après sa mise en application ? Témoignage d’un correcteur nuancé sur l’épreuve de lettres de ce nouveau bac qui repose sur des archaïsmes mais autorise aussi un véritable questionnement sur la littérature. Par Stéphane Labbe, professeur de lettres

Peut-on déjà dresser un bilan de la réforme du lycée initiée par Jean-Michel Blanquer, trois ans après sa mise en application ? Témoignage d’un correcteur nuancé sur l’épreuve de lettres de ce nouveau bac qui repose sur des archaïsmes mais autorise aussi un véritable questionnement sur la littérature.

Pour la deuxième année, l’ensemble des épreuves anticipées du baccalauréat ont pu se tenir intégralement. Si l’on considère les programmes de français dans leur intégralité, on est frappé par la mise en avant de « L’étude de la langue » qui occupe six pages sur les douze que comportent les instructions officielles. Pourquoi cette irruption de la grammaire dans les programmes de lycée ?

Était-ce à dire que le collège n’avait pas fait son travail ? Et qu’il fallait revenir sur des notions (cause et conséquence, concession, etc.) qui n’avaient pas été assimilées dans les classes antérieures ? Sans doute. Dans les faits, d’ailleurs, il faut avouer que bien peu de collégiens parviennent désormais à identifier une subordonnée conjonctive ou à maîtriser la syntaxe de la phrase complexe. La solution aura donc consisté à reporter la maîtrise de ces acquis à la fin de la classe de première.

L’idée est-elle judicieuse ? Oui, si l’on considère que la grammaire est un outil d’analyse essentiel à l’auto-correction. Il suffit de demander aux élèves de seconde de poser une problématique pour constater que plus de la moitié d’entre eux ne font pas la différence entre interrogations directe et indirecte. Y consacrer une leçon, proposer des exercices d’expression permet, certes, de régler le problème, mais on peut déplorer que les professeurs de lycée soient désormais obligés de passer par ces remédiations qui prennent un temps qu’on utilisait autrefois à enseigner la littérature.

Repenser l’ensemble du parcours linguistique

C’est l’ensemble du parcours linguistique de l’élève qu’il faudrait repenser dans son intégralité. La dernière réforme du collège a reconstruit les programmes autour de vagues thématiques, et délité l’enseignement de la grammaire, laissant aux équipes pédagogiques le soin d’élaborer leur progression grammaticale ce qui évidemment entraine des disparités. Un élève qui entre en sixième aujourd’hui ne maitrise qu’approximativement l’ensemble de la conjugaison, et n’a jamais entendu parler de subordination. Le collège (avec quatre heures, quatre heures trente, de français par semaine chaque année pendant quatre ans) n’est plus en mesure de combler le déficit métalinguistique des élèves.

L’épreuve du bac, qui est censée évaluer ce travail grammatical, prend la forme d’une question posée au cours de l’épreuve orale anticipée. Ladite question devrait porter sur l’ensemble du programme du lycée. Dans l’académie de Rennes, injonction est faite aux correcteurs de n’interroger que sur le programme de première. Cela restreint donc à trois notions :

– Les subordonnées conjonctives utilisées en fonction de compléments circonstanciels.

– L’interrogation : syntaxe, sémantique et pragmatique (classe de première).

– L’expression de la négation (classe de première).

Si l’on applique ce vaste programme à des poèmes comme « L’Albatros » de Baudelaire ou « Harmonie du soir », aucune de ces notions ne parait adaptée. Le correcteur qui voudrait interroger l’élève sur l’un de ces poèmes devra donc déployer des trésors d’ingéniosité. Il pourra, par exemple, inviter le candidat à faire apparaître un rapport syntaxique logique par le biais de la subordination puis à analyser les processus qu’il a mis en œuvre.

Il y a là une double absurdité :

– La réduction du programme aux notions spécifiques à la classe de première n’est pas demandée dans la seule académie de Rennes puisque l’académie de Toulouse semble avoir les mêmes exigences, cette dernière a cependant le mérite de fournir des indications méthodologiques. On remarquera toutefois que ces demandes vont à l’inverse des prescriptions du ministère sur Eduscol. Pour prendre un exemple : le programme de première exclut l’étude de la subordonnée relative, le site du ministère invite, à propos d’une phrase d’Olympe de Gouges, à poser un exercice du type « Transformez la partie de la phrase après les deux points en proposition subordonnée relative. Expliquez votre transformation. »

– La grammaire n’est plus envisagée que comme un outil en soi, objet d’interrogation scolaire qui ne fait pas sens.

Or, s’il y avait un intérêt à réintroduire de la grammaire au lycée, c’était précisément parce qu’elle est aussi un outil d’analyse qui produit des significations. Bien des élèves réduisent l’analyse en français à une recherche effrénée des fameuses figures de style, sans songer que la syntaxe, elle aussi, fait style.

Une façon intelligente de prolonger l’épreuve orale de français aurait pu conduire à faire observer un phénomène grammatical, puis à l’analyser d’un point de vue stylistique, visant ainsi à faire constater qu’en français tout est lié et que la syntaxe est bien génératrice de sens. Au lieu de faire constater que les phrases interrogatives se signalent par un point d’interrogation dans le préambule d’Olympe de Gouges, il serait plus intéressant de montrer que le recours à l’interrogation manifeste le point de vue du lecteur et mieux encore de la femme lectrice qui questionne fort justement l’action révolutionnaire des hommes.

Les programmes de littérature

Les programmes de littérature au lycée conjuguent la spécificité des genres et un découpage chronologique restreint, selon les niveaux, en ce qui concerne la poésie et la littérature d’idée qui manifestent ainsi une complémentation bien venue. Il y a, en revanche, en ce qui concerne roman et récit, davantage de chevauchements. Mais la création de programmes nationaux, renouvelables annuellement par quart, permet de palier d’éventuels redites entre les deux années du lycée.

 secondepremière
PoésieLa poésie du Moyen-âge jusqu’au XVIIIe siècledu XIXe siècle au XXIe siècle
Littérature d’idéeLa littérature d’idées et la presse du XIXe siècle au XXIe siècledu XVIe siècle au XVIIIe siècle
Le roman et le récitLe roman et le récit du XVIIIe siècle au XXIe siècledu Moyen Âge au XXIe siècle
Le théâtreLe théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècledu XVIIe siècle au XXIe siècle

On peut s’interroger sur les motivations qui ont guidé la mise en place de ces programmes, jugés plutôt austères. On les considérera comme bienvenus dans la mesure où ils obligent tous les élèves de première à se pencher sur des œuvres indéniablement littéraires.

J’avais constaté, en tant qu’examinateur aux épreuves orales anticipées, qu’une grande partie de ce qu’on appelait alors « les descriptifs » privilégiait les œuvres des XXe et XXIe siècles. Il ne s’agit pas de dénigrer les œuvres de Wajdi Mouawad, Daniel Pennac ou Carole Martinez, ce sont des œuvres de bonne tenue, mais peut-on considérer qu’on a donné aux élèves de première une vision d’ensemble de l’évolution littéraire quand les trois quarts d’un descriptif sont consacrés à des auteurs contemporains ? Si l’on considère que les deux années de lycée sont celles où l’élève fait l’apprentissage du fait littéraire, mieux vaut se concentrer, dans le cadre de l’analyse littéraire, sur les œuvres patri(et matri)moniales. Il ne s’agit pas de récuser l’utilité des œuvres de la littérature de jeunesse ou de la littérature contemporaine qui constituent des supports essentiels à la réflexion et feront l’objet de lecture cursives essentielles mais de faire prendre conscience que notre littérature est le fruit d’une évolution et d’affrontements idéologiques relatifs à l’esthétique. Pour rapporter une anecdote personnelle, j’ai eu la surprise de constater, cette année, que mes élèves de première, placés devant un extrait de Cyrano de Bergerac, ne savait se prononcer sur le genre de l’extrait, ils n’avaient, de toute leur scolarité, jamais étudié de pièce en vers !

Les épreuves écrites

Les épreuves écrites ont désormais réduit le choix de l’élève à une alternative : commentaire ou dissertation. Cette réduction des possibilités a mis fin aux polémiques qui entouraient toujours la correction des écrits d’invention, notés généralement très bas d’ailleurs. L’épreuve écrite met en cohérence les programmes et l’évaluation. Aux dires des correcteurs, on constate que la part de la dissertation progresse. Les élèves qui s’investissent dans l’appropriation des œuvres au programme ont compris que l’exercice, travaillé en amont, peut s’avérer payant : la dissertation donne en effet plus de liberté stylistique à son auteur, elle permet en outre de réinvestir les connaissances acquises au cours de l’année et de s’exercer à une forme de raisonnement qui prépare à la philosophie.

À ces épreuves écrites manque peut-être un troisième choix, celui de la contraction-essai, pratiquée en série technologique et qui aurait pu être généralisée à toutes les séries. Liée au seul objet d’étude « littérature d’idée » elle resserre le champ des possibles. On pourrait imaginer qu’en série générale, elle exploite les quatre objets d’étude, offrant ainsi aux élèves la possibilité de « rentabiliser leur investissement » dans la discipline.

Les épreuves orales

L’épreuve orale est revenue à la pratique ancestrale de l’explication linéaire. On l’avait abandonnée dans les années quatre-vingt, stigmatisant son « pointillisme », on constate aujourd’hui qu’elle n’est pas dépourvue de vertu, la première d’entre elle (et non la moindre) résidant dans la nécessaire appréhension préalable du sens : toute volonté d’expliquer un texte de façon linéaire présuppose une interrogation sur le sens littéral et/ou, à défaut, la reconnaissance d’ambiguïtés qui participent à la littérarité du texte.

L’examinateur qui fait passer les élèves à l’oral se trouve confronté à des situations diverses : l’une d’entre elles s’avère récurrente, l’élève s’évertue à restituer l’explication réalisée en classe. Le défi consistera donc pour le professeur à éviter cet écueil et à conduire ses élèves vers une autonomie suffisante pour qu’ils puissent s’approprier les textes.

J’ai eu le bonheur de faire passer à l’oral des élèves qui avaient effectivement intégré cette démarche. Ils et elles se montraient capables d’interpréter le texte tout en analysant ses résonances que le propos éveillait en eux. Ils et elles admettaient ignorer telle ou telle figure mais cherchaient à en expliquer le fonctionnement et les effets. On peut dire, à ce stade, que l’objectif de la première a été atteint. Mais, pour un ou une élève capable de cette performance, combien d’explications ânonnées, de lectures ratées, de questions de grammaire ignorées ? L’enseignant doit chercher les moyens de rendre l’élève autonome mais l’analyse littéraire reste un concept bien difficile à appréhender pour certains qui n’ont pas inscrit la pratique de la lecture dans leurs habitudes. Et la tentation est grande d’apprendre les commentaires effectués en classe sans toujours les maîtriser.

La deuxième partie de l’épreuve qui invite les élèves à réaliser un bref exposé sur une œuvre sélectionnée au sein d’un corpus proposé par leur professeur, et qui fait écho aux problématiques du programme, est généralement réussie. Là encore, on peut observer des formes de bachotage, mais l’entretien qui s’organise autour de l’œuvre permet très vite d’évaluer l’implication de l’élève et le degré de familiarité qu’il ou elle a su instaurer avec l’auteur.

J’aime rappeler à mes élèves la conception que le sociologue américain Erich Fromm se faisait de la lecture. Il la présentait comme un dialogue, une maïeutique qui favorise en nous l’éclosion de l’humanité : « Ce qui est vrai pour la conversation l’est également pour la lecture qui est – ou devrait être – une conversation entre l’auteur et le lecteur. Évidemment, quand on lit (comme au cours d’une conversation) la personnalité de l’auteur – ou de l’interlocuteur – est importante. Lire un roman dénué de valeur artistique, banal, est une manière de rêve éveillé. Cette lecture ne permet aucune réaction productive ; le texte est avalé comme un show télévisé, ou comme les chips qu’on mâchonne en regardant le poste de télé. Mais un roman de Balzac, par exemple, peut être lu d’une façon enrichissante, avec une participation interne, c’est-à-dire sur le mode être. »[1]

Si nous voulons que nos élèves réussissent cette épreuve, il faut parvenir à les convaincre qu’une lecture est un dialogue qui peut toucher ou interroger en profondeur, qu’un auteur est un compagnon dont la voix peut nous accompagner longtemps. On regrettera juste pour cette dernière épreuve le manque d’ambition. Il est demandé aux élèves de préparer un exposé sur une œuvre, on aurait pu imaginer qu’ils et elles en présentent au moins une par objet d’étude et que revienne au correcteur la possibilité d’effectuer un choix.

Au final, la réforme aura eu le mérite d’instaurer une certaine exigence sur le plan littéraire. Elle impose des défis aux élèves. Comment les intéresser à des textes exigeants tout en les initiant à des techniques d’analyse ? Il nous revient de faire preuve d’imagination sur le plan pédagogique.

Quant aux programmes et aux parcours proposés, ils ont le mérite de rendre possible pour tous l’accès à la dissertation. Centrée sur une œuvre et son parcours, la dissertation n’est plus « générale », elle autorise l’élève qui s’est intéressé aux auteurs et problématiques abordés dans la courant de l’année à nourrir sa réflexion d’exemples précis. L’introduction d’une réflexion personnelle construite autour de lectures cursives, à l’oral, est aussi une initiative intéressante qui conduit l’élève à s’investir dans le questionnement une œuvre qu’il a choisie. On ne peut, à ce sujet qu’inviter les collègues à étendre les possibilités offertes aux élèves en leur offrant les bibliographies les plus larges possibles.

Si la réforme du bac réussit à inscrire la dissertation dans la pratique du français, si elle donne aux élèves la possibilité de s’exprimer sur une lecture cursive, elle s’avère rétrograde sur bien des points. Fallait-il réinstaurer la lecture linéaire au risque de condamner certains élèves à une lecture plus soucieuse de procédés que de significations ? Fallait-il limiter les choix de l’épreuve écrite à deux exercices qui ont pour point commun d’exiger un gros effort de structuration tout en limitant singulièrement l’expression personnelle ?

S’il fallait porter une appréciation sur le travail engagé par cette réforme, ce serait quelque chose comme : « Correct mais peut mieux ! »

S. L.


[1] Erich Fromm, Avoir ou être, Robert Laffont, 1993.

Stéphane Labbe
Stéphane Labbe