De la spiritualité d’Apollinaire dans « Alcools »

POÉSIE. Au programme de littérature des classes de première générale et technologique autour de la modernité poétique, Alcools abolit les limites entre la poésie et la prose, préfigure le surréalisme et témoigne d’un élan du poète vers la foi chrétienne à l’heure où le progrès s’impose comme idéologie dominante.
Par Jean-Louis Benoit, université de Bretagne Sud, laboratoire HCTI
« Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant ». On oppose régulièrement dans l’œuvre d’Apollinaire, à propos d’Alcools, la modernité et la tradition.
Du côté de la tradition, on trouve :

  • Des influences venues de Baudelaire : « Il faut toujours être ivre de vin de poésie ou de vertu. » Chez Apollinaire, ce sera l’ivresse de la poésie, l’eau de vie, l’eau de feu : « Mon verre est plein d’un vin trembleur comme une flamme1 (Nuit rhénane). « Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie »(Zone, p. 14)…
  • L’héritage du romantisme : l’importance du registre lyrique, de l’élégie, du pathétique. La place des sentiments, du rêve et de l’amour : « J’ai souffert de l’amour à vingt et à trente ans » (Zone, p. 12).
  • Le symbolisme : la recherche d’une perfection esthétique, la convocation des grands mythes pour en percer le sens, la virtuosité technique et poétique, l’attrait pour le mystère et l’hermétisme qui font penser à Mallarmé : « Voie lactée ô sœur lumineuse des blancs ruisseaux de Chanaan » (La Chanson du mal-aimé p. 19).

 
Du côté de la modernité revendiquée par le poète lui-même, on invoque :

  • La poésie de la ville, des voyages, des moyens de transports : « Te souviens-tu du long orphelinat des gares…. Te souviens-tu des banlieues et du troupeau plaintif des paysages » (Le Voyageur, p. 53).
  • L’abolition des limites entre la prose et la poésie, le vers libre alternant avec le vers classique, l’absence de ponctuation. L’essentiel est de considérer, avant la poésie, le poétique, qui peut surgir partout, même sous le charme d’une rue industrielle et dans toutes les circonstances de la vie, même à la guerre. Il suffit d’adopter, face à la réalité, une disposition d’esprit faite de curiosité esthétique, d’attention au monde et d’émerveillement. Apollinaire lui-même définit ainsi cet état : « On peut être poète dans tous les domaines. Il s’agit que l’on soit aventureux et qu’on aille à la découverte. »

L’audace des images préfigure le surréalisme. C’est d’ailleurs Apollinaire qui a inventé ce mot.

«Bergère Ô Tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin» (Zone, p. 7)

 

Un récit mystique

Cette lecture morcelée de l’œuvre, éclatée en fragments textuels, est possible. Elle permet de capter bien des reflets de ce miroir brisé. Le pluriel d’Alcools semble justifier cette décomposition. Cependant, l’opposition tradition/modernité, schématique et scolaire, souvent contestable, ne fournit pas vraiment un guide de lecture et un point de vue unifiant. Un peu d’histoire littéraire apporte une lumière intéressante sur la genèse de ce recueil.
Un jeune poète est lié à Apollinaire par une grande admiration et une réelle amitié. Il s’agit de Blaise Cendrars. En juillet 19122 , il envoie à Apollinaire un long poème composé d’une centaine de distiques d’alexandrins qui riment par assonance et qui sont souvent irréguliers. Intitulé Les Pâques, il deviendra quelques années plus tard Pâques à New York. Ce récit mystique, raconté à la première personne du singulier, est adressé à Dieu : « Seigneur ». Il évoque une errance dans les rues de New York, un Vendredi saint.
Cette révélation de Dieu a été préparée par la rencontre de Jésus et d’un moine attiré par l’amour du Seigneur, « amour qui battait à grands coups les portes du monastère ». Dans une promenade à travers les bas quartiers de New York, se développe une longue vision mystique centrée sur le cœur de Jésus : « Votre flanc grand ouvert est comme un grand soleil. Et vos mains tout autour palpitent d’étincelles3 . » 
Le monde banal et triste, les êtres misérables sont transfigurés par cette présence christique.

« Les vitres des maisons sont toutes pleines de sang
Et les femmes derrière sont comme des fleurs de sang […]
Votre sang recueilli elles ne l’ont jamais bu
Elles ont du rouge aux lèvres et des dentelles au cul. »
(p. 17).
 

Les prostituées occupent une place à part dans cette dérive. Elles sont associées à la prière du poète.

« Je voudrais être Vous pour aimer les prostituées.
Seigneur ayez pitié des prostituées. » (p. 20)

 
Tous les vagabonds, les marginaux trouvent grâce à ses yeux, et il les présente à Dieu :

« Je pense aussi aux musiciens des rues
Aux violonistes aveugles, au manchot qui tourne l’orgue de Barbarie » (p. 21)

 
Les rues de Jérusalem et celles de New York se ressemblent au moment de la mort de Jésus. L’image, tout en contraste, évoque la beauté pathétique de cette nuit de Pâques :

«  La rue est dans la nuit comme une déchirure,
Pleine d’or et de sang, de feu  et d’épluchures. » (p. 21)
 

Tout le peuple des immigrants est pitoyable :

« Seigneur ayez pitié des peuples en souffrance » (p. 19).

 
Parmi eux, les Juifs qui arrivent de Pologne. Cendrars porte sur eux le regard des chrétiens. Ils sont rendus responsables de la mort du Christ, mais il demande à Dieu de leur pardonner car les pauvres immigrants qu’il a sous les yeux sont innocents :

« Je le sais bien ils ont fait ton procès
Mais je t’assure ils ne sont pas tout à fait mauvais4 […]
Seigneur ayez pitié des Juifs dans les baraques. »  (p. 20)

 
Dans les rues obscures, le mal est partout. Un voyou le suit, puis lui jette un regard inquiétant :

« Un effroyable drôle m’a jeté un regard
Aigu puis a passé, mauvais comme un poignard » (p. 22).
 
 

On passe d’un décor à un autre, tout lui rappelle le Golgotha. Une conversion véritable est très proche. Il suffirait d’entrer dans une église et de retrouver des splendeurs passées.

« J’aurais voulu Seigneur entrer dans une église
Mais il n’y a plus de cloches Seigneur dans cette ville
[…] Où sont les longs offices  et où les beaux cantiques ?
Où sont les liturgies et les musiques ? » (p. 23-24)

 
C’est le matin. La Vierge Marie peut seule nous donner le témoignage de la victoire de Dieu.

« Dic nobis, Maria,  quid vidisti in via :
La lumière frissonner, humble, dans le matin ».

 
Le matin, la foule revient, envahit la ville ; l’agitation semble tout effacer.… Angoissé, le poète oublie Dieu :

« Déjà un bruit immense retentit sur la ville ;
Déjà les trains bondissent et défilent.
La cité tremble des cris du feu des fumées…
Le soleil c’est votre Face souillée par les crachats…
Je ne pense plus à vous je ne pense plus à Vous ». (p. 26)

 
L’influence de Cendrars
Arrêtons ce florilège, suffisamment éloquent pour les lecteurs assidus d’Apollinaire. Que s’est-il passé ? Vraisemblablement, si l’on suit les analyses de Jean-Louis Cornille5 ,  Blaise Cendras, offre ce poème d’abord intitulé Les Pâques, à Apollinaire en juillet 1912.  En octobre Apollinaire remanie in extremis le recueil Eau de vie, le nomme Alcools, supprime la ponctuation et surtout introduit son recueil par un long poème préliminaire intitulé Zone. Il en avait lu une première version à des amis sous le titre Cri. Zone fait allusion à la revue qu’il avait envisagé de créer avec Cendrars : Zones. Il renoncera à cette revue commune. Cendras lui fait remarquer qu’il aurait pu au moins lui dédicacer Zone.
Alcools paraît en 1913. Laurence Campa, dans sa biographie, qui fait autorité, émet une hypothèse : « Puisqu’il est avéré qu’Apollinaire lut Pâques avant d’achever Zone, on pourrait proposer ce récit : Apollinaire lut Cendrars, alors que son propre poème était en gestation et fut frappé par l’étrange similitude de leur inspiration ; comme il composait Zone, la forme des Pâques s’imposa de toute sa force et le contraignit à se démarquer mais laissa une empreinte indélébile6  ».
L’influence de Cendrars sur Apollinaire est incontestable. On y trouve, pêle-mêle, un récit autobiographique d’une expérience mystique, d’une redécouverte de la foi chrétienne, expérience intense mais inachevée, d’une rencontre avec le Christ identifié à un soleil sanglant, une prière fervente à Jésus et à sa mère, dans le cadre de la vie quotidienne, à travers les plus misérables : prostituées, immigrants marginaux, voleurs, évocation du peuple juif, mélange du prosaïque et du sublime, usage approximatif du vers classique souvent irrégulier. Les emprunts sont  nombreux dans le poème d’Apollinaire.
Contentons-nous d’un seul exemple : le procédé du morcellement temporel et spatial (cubiste ?) qui consiste à présenter des moments et des lieux différents juxtaposés comme dans un kaléidoscope :

« Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé à Chartres
Le sang de votre Sacré-Cœur m’a inondé à Montmartre » (p. 10)

 
Notons que cette parenté est plutôt occultée dans les études récentes d’Alcools. Le  recueil a un succès mérité dans le cursus des études littéraires au lycée et à l’université, où il est souvent au programme. On fait l’économie du rapprochement avec Pâques à New York. Nous constatons ainsi que dans un petit ouvrage critique, par ailleurs excellent, destiné surtout aux classes de Première et de Terminale : Alcools, Apollinaire, Profil d’une œuvre, Claude Morhange-Bégué, Pierre Lartigue, Hatier 1999, aucune référence à Cendrars n’est mentionnée. Serait-on gêné par la réflexion sur l’intertextualité qui s’imposerait alors ? Rendons hommage à une collection aujourd’hui disparue et décriée qui propose une page remarquable sur ce nécessaire rapprochement : Lagarde et Michard XXe siècle Bordas, 1965, p.48.
La révolution littéraire et poétique que provoque chez Apollinaire la lecture de cette prière narrativisée serait de faire rejaillir chez ses lecteurs et lui-même la grâce de cette conversion. En effet, les premières pages de ce recueil définitif Alcools et les premières pages de ce poème initial Zone, sont occupées par une série de récits discursifs dans une prose banale.
On trouve aussi des élans lyriques et l’évocation de scènes et de paysages de son passé qui surgissent dans sa mémoire sans commentaires. On peut penser que le coup de tonnerre de la lecture de Pâques a été de se dire qu’il est possible de parler de sa foi, surtout si elle a pris une forme inattendue et intense. On mesure mal le choc qu’a pu produire sur le public le début de Zone. Il y a une provocation incontestable7 à tenir ce discours  de « catholique militant », en ce début du XXe siècle. Le ton solennel a une gravité prophétique.
Le contexte est à situer. Nous sortons à peine du conflit douloureux de la séparation de l’Église et de l’État. De part et d’autre, les coups ont été violents. La question de l’école a attisé les oppositions. L’idéologie dominante en art et dans la culture est celle du progrès qui sacralise l’innovation et la modernité. Déjà, on considère Apollinaire, en poésie, comme un dirigeant de ce mouvement. Les techniques, les sciences doivent apporter le bonheur à l’humanité, délivrée des ténèbres de l’obscurantisme des traditions religieuses. Or, voici que dans ce recueil programme, manifeste de « l’Esprit nouveau », Apollinaire renverse la table. La modernité véritable, ce n’est pas l’automobile, symbole avec l’aviation des progrès techniques, c’est au contraire la religion.
Il précise sa pensée : le christianisme. Le pape (Pie X, contempteur de l’hérésie moderniste) incarne l’Europe. Un an plus tard, l’histoire lui donnera raison. Le refus d’une communauté spirituelle qui aurait permis l’union des peuples et la résolution des conflits politiques a jeté l’Europe dans la plus meurtrière des guerres. L’Europe, privée de son fondement religieux chrétien, est vouée au déchirement nationaliste.  Les progrès techniques, censés nous apporter le bonheur, vont servir à massacrer les populations. Il a inventé, en quelque sorte, la postmodernité.

« Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul  en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme
L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X » (p. 7).
 

Le ton est polémique, provocateur. L’auteur défend avec conviction un paradoxe. Une rhétorique oratoire s’appuie sur une suite de sentences emphatiques. L’apostrophe inscrit le discours dans une situation d’énonciation actualisée : tu = je (tu en as assez) ; tu = christianisme ; vous = pape Pie X.
Le moment de l’énonciation est fixé à « ce matin ». La question est simple après cette profession de foi. Comment se réconcilier avec Dieu, reconnaître ses péchés, demander le pardon ? La difficulté pour franchir cette dernière marche est clairement exposée :

« Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin » (p.7)

 
Quelle est cette honte ? Il y revient plus loin :

« Si tu vivais dans l’ancien temps tu entrerais dans un monastère
Vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière » (p. 10)

 

Une enfance pieuse

Il s’agit donc, d’abord, de la honte du « qu’en dira-t-on ? » Apollinaire vit à une époque où se dire chrétien, surtout pour un homme, peut paraître ridicule. Il est vrai que l’opinion publique est très hostile à l’Église. Demander ses sacrements est une faiblesse, voire une trahison de l’idéal laïque rationaliste. Le poète confirme son aveu en évoquant des souvenirs d’une enfance pieuse et quasi mystique.
Il est impossible de contester la sincérité de ces souvenirs. Ils sont troublants. S’enfuir du dortoir du collège avec son meilleur camarade afin de prier et d’adorer le Saint-Sacrement dans la chapelle témoigne d’une foi intense. La sainte eucharistie est particulièrement vénérée, ainsi que le Sacré-Cœur et la Vierge Marie, soit les grandes figures de la foi catholique, les plus chargées d’amour et d’émotion : « Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc8 » « C’est le Fils pâle et vermeil de la douloureuse Mère ». Ces tableaux (les couleurs sont frappantes) sont évoqués avec une ferveur lyrique. L’accumulation des présentatifs « C’est » retrouve une forme litanique que Charles Péguy utilise à la même époque dans ses Tapisseries, dont les premières paraissent dans les Cahiers en 1912.
Apollinaire, frère de Péguy ? L’image du Christ irradie dans tout le recueil. On objecte souvent à la profondeur de cette dévotion une certaine ironie présente dans quelques occurrences :

« C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le Dimanche…
C’est le Christ qui monte au Ciel mieux que les aviateurs
Il bat le record du monde pour la hauteur » (p. 8-9)
 

Il y a certes une distance prise avec le caractère sacré du sujet, grâce à la familiarité de l’expression de la comparaison. Ce procédé est fréquent chez les poètes qui veulent dire les choses de la foi sans tomber dans la phraséologie religieuse et cléricale.
C’est, par exemple, le cas chez Péguy qui a recours au registre familier pour évoquer les réalités du ciel et de l’âme, par exemple dans Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc ou La Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres. Ici, Apollinaire s’amuse à développer les deux exemples de la modernité : le Christ (vraie modernité) et l’aviateur (fausse modernité). Cela n’implique aucune dérision de sa part, cela ne signifie pas qu’il ne croit pas à l’ascension de Jésus et à sa résurrection, mais indique seulement une tonalité humoristique qui vient mettre à distance le lyrisme9 sans l’abolir.
Quand il écrit que « la guerre est jolie », il ne signifie pas par antiphrase, comme le fait Voltaire dans Candide, que la guerre est horrible, mais qu’il prend un nouveau regard, une distance (morale, esthétique, poétique) avec l’évènement tragique. Plus complexe, la fin de Zone évoque la fin de cette journée qui voit le poète rentrer chez lui à Auteuil :

Dormir parmi les fétiches d’Océanie et de Guinée
Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance.
Ce sont des Christ inférieurs des obscures espérances (p. 14)
 

Il y a donc chez lui des statues issues des religions animistes. Il les considère comme des objets sacrés qui constituent des moyens de s’approcher de la vérité : le Christ. Après avoir cherché à déraciner les traces du paganisme, les missionnaires catholiques ont essayé de christianiser ces statues, de les faire apparaître comme des précurseurs utiles de la vraie foi, dans une perspective d’inculturation.

« Adieu Adieu
Soleil cou coupé »

 
L’universitaire et poétesse Marie-Jeanne Durry estime que « le soleil du monde est tranché, non pas le soleil païen mais le Soleil Christ, le Soleil spirituel10
 

Le poids des tentations

Si la place du Christ est dominante dans son œuvre, on ne peut nier qu’il a refusé d’entrer dans une église pour « se confesser ce matin » et qu’il est resté à l’extérieur de l’Eglise, fasciné par cette foi au Christ, à laquelle il ne  peut adhérer. Pourquoi ? À cause de la honte répond-il deux fois. Honte, face aux autres mais aussi honte de lui-même. Le poème L’Ermite exprime clairement et violemment les tentations qui le hantent, le saisissent et le laissent désespéré, renonçant au combat et à la foi en Dieu. Ces tentations sont charnelles. On ne peut éviter le rapprochement avec la vie d’Apollinaire et surtout son œuvre. Il a, en effet, écrit de nombreux textes pornographiques.
Toute l’œuvre s’éclaire par rapport à cette problématique religieuse et se décline en divers  thèmes ou motifs. Citons, sans développer l’analyse : la quête, le feu, l’eau, le temps qui passe, l’identité, l’amour (qui devient un culte comme il le sera pour les surréalistes), la misère sociale, prostituées et marginaux : « Tu n’as de signe que le signe de la croix » (Le Larron,
p 74), la mort, la création poétique qui est le moyen d’anticiper l’éternité. À la même époque, Proust le tente dans le roman.
Malgré son refus de se reconnaître catholique, on peut classer le poète parmi les écrivains de la foi, recherchée, perdue ou retrouvée : Péguy, Claudel, Max Jacob : « le 28 septembre 1909, vers 5h de l’après-midi…en une minute je vivais un siècle11 ». Chez Apollinaire, la foi reste une occasion ratée, un regret, une fascination nostalgique, une attirance profonde et inaboutie. Il écrit le 3 novembre 1916 à Madeleine Pagès : « Je ne suis plus ce que j’étais, à aucun point de vue, et si je m’écoutais, je me ferais prêtre ou religieux12 . » Et si on va jusqu’à la littérature du XXIe siècle, on retrouve cette interrogation terrible, chez des écrivains tourmentés, tiraillés entre la foi et le libertinage. Ainsi Houellebecq écrit-il à la fin de son roman Sérotonine :

« Dieu s’occupe de nous en réalité. Il pense à nous à chaque instant et il nous donne des directives très précises. Ces élans d’amour qui affluent dans nos poèmes, ces extases inexplicables si l’on considère notre nature biologique, notre statut de simples primates, ce sont des signes extrêmement clairs. Et je comprends aujourd’hui le point de vue du Christ, son agacement répété devant l’endurcissement des cœurs.  Ils ont tous  les signes et ils n’en  tiennent pas compte. Est-ce qu’il faut vraiment, en supplément que je donne ma vie pour ces minables ? il semble bien que oui13 .» 
 

Jean-Louis Benoit

 
[1] Apollinaire, Alcools, Gallimard poésie, 2019, p. 94.
[2] Laurence Campa (Guillaume Apollinaire, Gallimard, 2013) indique plutôt : septembre
[3] Blaise Cendrars, Les Pâques à New York, en ligne, http://cahierslibres.fr/wp-content/uploads/2014/04/mercredi-saintgrey.pdf  p. 17.
[4] Cendrars épousera une Juive.
[5] Jean-Louis Cornille, Apollinaire et Cie, Presses du Septentrion, p. 119-192.
[6] Laurence Campa, Guillaume Apollinaire, Gallimard, 2013, p. 396. Apollinaire a souvent été injuste envers son jeune confrère (ibid. p. 673).
[7] Il est vrai qu’Apollinaire affectionne l’effet de surprise qu’il met au cœur de l’émotion poétique.
[8] Les couleurs de Marie.
[9] Cf Luca Belavicqua, « Déconstruction des modèles et ironie littéraire. La distanciation dans la poésie d’Apollinaire », Revue italienne d’études françaises, 2019.
[10] Marie-Jeanne Durry, Guillaume Apollinaire, Alcools, SEDES, 1956, cité par Lagarde et Michard, p. 50
[11] Max Jacob, Récit de ma conversion, p. 291, cité par Laurence Campa, op. cit. p. 292.
Michel Houellebecq, Sérotonine, Flammarion,2019, p.347.
[12] Cité par Laurence Campa, op. cit. p. 665.
[13] Michel Houellebecq, Sérotonine, Flammarion, 2019, p. 347.
 
RESSOURCES
Retrouvez de nombreux articles traitant de Guillaume Apollinaire dans les archives de L’École des lettres. Parmi eux :
« Guillaume Apollinaire », de Laurence Campa : https://www.ecoledeslettres.fr/article/2014-01-01-guillaume-apollinaire-de-laurence-campa-biographie-sur-poesie
Guillaume Apollinaire : « Vous dont je ne sais pas le nom ô ma voisine », de Denise Laboureau :
https://www.ecoledeslettres.fr/article/2001-01-01-guillaume-apollinaire-vous-dont-je-ne-sais-pas-le-nom-o-ma-voisine-poesie-4e-3e
Guillaume Apollinaire : le temps chez Apollinaire, de Georges Cesbron : https://www.ecoledeslettres.fr/article/1993-01-01-guillaume-apollinaire-le-temps-chez-apollinaire-poesie-1re
« Apollinaire. L’oeuvre poétique (1) » : https://www.ecoledeslettres.fr/article/1991-01-01-apollinaire-luvre-poetique1
« Apollinaire. Fictions (2) » : https://www.ecoledeslettres.fr/article/1991-01-01-apollinaire-fictions-2
Guillaume Apollinaire. La pureté de l’art, « théologie » cubiste d’Apollinaire, de Dominique Millet-Gérard : https://www.ecoledeslettres.fr/article/1991-01-01-guillaume-apollinaire-la-purete-de-lart-theologie-cubiste-dapollinaire-poesie-et-histoire-des-arts-1re
Guillaume Apollinaire, du lyrisme orphique au regard sur le réel, de Marie-Louise Lentengre: https://www.ecoledeslettres.fr/article/1991-01-01-guillaume-apollinaire-du-lyrisme-orphique-au-regard-sur-le-reel-poesie-1re
Guillaume Apollinaire et l’avant-garde, de Marie-Hélène Boblet-Viart : https://www.ecoledeslettres.fr/article/1991-01-01-guillaume-apollinaire-et-lavant-garde-poesie-et-histoire-des-arts-1re
Guillaume Apollinaire : la mise en « je » dans les contes, de Daniel Delbreil : https://www.ecoledeslettres.fr/article/1991-01-01-guillaume-apollinaire-la-mise-en-je-dans-les-contes-autobiographie-1re
Guillaume Apollinaire : le thème de l’ombre, de Jean Sémolué : https://www.ecoledeslettres.fr/article/1991-01-01-guillaume-apollinaire-le-theme-de-lombre-poesie-1re
 

Jean-Louis Benoit
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