La séance de littérature : une affaire d’oral collectif… et d’écrit individuel

Robin Williams – le professeur Keating – dans "Le Cercle des poètes disparus", de Peter Weir (1989)
Robin Williams – le professeur Keating – dans “Le Cercle des poètes disparus”, de Peter Weir (1989)

En finir avec le professeur Keating…

Le décès récent du comédien américain, Robin Williams, a été l’occasion d’un retour sur sa filmographie qui inclut le mémorable Cercle des poètes disparus de Peter Weir, réalisé en 1989.
Pour toute une génération dont nous sommes, Le professeur Keating a représenté le professeur de lettres par excellence, contribuant même sans doute à maintes vocations !
Souvenons-nous en effet de ce trublion de l’éducation enjoignant ses élèves (tout de même triés sur le volet…) à déchirer les pages méthodologiques de leur manuel de littérature ; souvenons-nous de celui qui avait fait le vœu de privilégier l’écoute sincère des textes littéraires sur leur commentaire jargonnant ; souvenons-nous des vers de Walt Whitman dont il se faisait le chantre et le passeur…
Et réveillons-nous quelques vingt-cinq plus tard au beau milieu d’une salle de classe, pour tenter de reconsidérer la stratégie pédagogique du « Capitaine, mon capitaine »…

 

Le tout « oral » ou l’illusion de l’entonnoir

Toutes » les explications de texte en collège et en lycée commencent grosso modo de la même façon : lecture du texte support corrélée au commentaire collectif de ce dernier. La suite consistant en fonction des classes à la poursuite de ce commentaire oralisé alternant avec des prises de notes.

Robin Williams dans "Le Cercle des poètes disparus", de Peter Weir
Robin Williams dans “Le Cercle des poètes disparus”, de Peter Weir

De toute évidence, le texte littéraire permet de susciter la réflexion des élèves, leur donnant l’occasion non seulement d’en être des observateurs mais bien des interprètes. Néanmoins, le problème posé par le déroulé « classique » de la séance de littérature ne se situe pas exactement à ce niveau. La lecture explicative d’un texte littéraire menée presque exclusivement à l’oral doit être questionnée du point de vue de son efficacité quantitative.
Comment ne pas remarquer en effet, qu’elle s’articule autour d’un florilège de mains levées, celles des répondeurs « spécialisés » ; celles en somme de ces élèves surinvestis qui accueillent le professeur Keating avec tant de vénération.
Or, disons-le tout net, ces élèves ne « sont pas la classe » et auraient même tendance par leur attitude « ultra-positive » à en déformer l’évaluation lucide. Concrètement, et presque par enchantement (que l’on peut par ailleurs fort bien comprendre) le professeur de lettres se laisse régulièrement happer par la logique de « ping pong » que lui impose le chœur des répondeurs. Et l’on assiste, de fait, à de belles joutes verbales produisant incidemment chez le professeur un aussi vrai que légitime sentiment d’autosatisfaction. Toutefois, l’illusion ne résiste pas à l’observation. Car il n’est pas rare, même en ces circonstances de plénitude pédagogique, que plus de la moitié de la classe se sente exclue de l’échange !
En clair, le professeur doit se méfier du goulot de l’entonnoir qui concentre son regard et son écoute au détriment de sa partie la plus « évasée ».
 

L’écrit comme élément nécessaire de « désenchantement »

On a beaucoup glosé sur Entre les murs de Laurent Cantet (2008) où le professeur d’une classe de quatrième de collège, interprété par François Bégaudeau, met en scène sa propre pédagogie reposant pour l’essentiel sur l’oralisation à outrance.

"Entre les murs", de Laurent Cantet, d'après le roman de François Bégaudeau (2008)
“Entre les murs”, de Laurent Cantet, d’après le roman de François Bégaudeau (2008)

Manifestement, on peut être séduit par cette dynamique conversationnelle sans pour autant en louer forcément l’efficacité.
En effet, l’échange « oralisé » – qui finit par faire séance – à partir d’un texte ou autour d’un texte, pose plusieurs problèmes en terme de gestion de classe :
• D’abord, il n’est pas possible à toutes les heures de cours. Les séances de l’après-midi par exemple nécessitant de façon pragmatique des activités moins « volubiles ».
• Ensuite, cette modalité pédagogique demeure extrêmement discriminante puisqu’elle tend naturellement à laisser de côté un bon nombre d’élèves qui ne sont pas dans le tempo de l’échange.
Du point de vue de la gestion « différenciée » d’une classe, on mesure aisément les limites de ce dispositif. Comment apporter une aide individuelle à des élèves moins rapides et moins réceptifs alors qu’on est en train de maintenir le train effréné du dialogue avec le chœur des répondeurs ?
Il s’agit par conséquent de repenser la séance de littérature en fonction d’un principe de réalité et par là même de s’imposer, quoi qu’il en coûte, à l’idée que l’on peut se faire de cette séance spécifique, des phases d’alternance oral / écrit. Nous avons bien dit « s’imposer » : ce qui revient très concrètement à prévoir au moment opportun de « stopper » l’échange aussi fructueux soit-il !
Mécaniquement, cette forme d’autocensure de l’excès d’oralisation permettra de reprendre le contact avec les élèves les moins à l’aise dans le pingpong verbal. Nous reviendrons, lors d’un prochain « épisode » sur les différentes possibilités de travail écrit individuel en cours de séance. Il importe juste à ce stade de notre réflexion de bien mettre en perspective la nécessité d’un « séquençage » de la séance en différentes phases qui font clairement alterner oral et écrit ou plus précisément oral collectif et écrit individuel.
Par parenthèses, ce devoir de verrouillage de la parole de l’élève permettra au néo-prof de mieux se situer dans la chronologie de la séance. On assiste trop souvent en effet à des séances « mono-tâches » où, au bout de trente minutes, les élèves n’ont toujours pas ouvert leur cahier et strictement rien écrit !
L’oralisation collective ne doit bien entendu pas être proscrite, mais il convient d’une part d’en relativiser l’efficacité et d’autre part d’en modérer l’usage. En effet, n’en doutons pas, la centrifugeuse à paroles reste particulièrement viciée. L’hétérogénéité réelle des niveaux au sein d’une même classe nécessite en effet une logique de différenciation qui ne peut être mise en œuvre que si l’alternance oral collectif / écrit individuel est respectée.
N’en déplaise au professeur Keating que nous avons tant aimé pourtant…

Antony Soron, ÉSPÉ Paris

 
 
• Voir sur le site de “l’École des lettres” les précédents épisodes du feuilleton :
– Comment débuter une séance ? par Antony Soron.
Comment concevoir une première séquence de littérature ? par Antony Soron.
La première évaluation des écrits de collégiens, par Antony Soron.
Conseils pour une première prise en charge de sa classe par le professeur de lettres, par Antony Soron.
Premier poste, dix conseils pour entrer dans le métier, par Thérèse De Paulis.
• Les Archives de « l’École des lettres » offrent de multiples propositions de séquences expérimentées et validées ainsi que des exemples de progression adaptables à toutes les classes. Le téléchargement des articles est assuré instantanément, dès la souscription de l’abonnement en ligne.
 

Antony Soron
Antony Soron

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *